samedi 31 juillet 2010

Le débat sur la solution à un État fait exploser le mythe du sionisme de gauche



Un débat fascinant débarque sur le podium politique israélien au sujet d’une question jusqu’ici taboue: la création d’un État unique comme solution au conflit; dans cet État, juifs et Palestiniens pourraient potentiellement vivre en citoyens égaux. Chose surprenante, cette proposition émane principalement de la droite politique israélienne.

Le débat, qui va à l’encontre de l’actuelle orthodoxie d’un avenir à deux États, a rapidement fait voler en éclats les conceptions traditionnelles sur la gauche et la droite sionistes.

Beaucoup d’observateurs - notamment plusieurs administrations étasuniennes - ont présumé que les artisans israéliens de la paix se trouvaient exclusivement parmi la gauche sioniste, la droite étant ignorée, puisque irrémédiablement opposée aux droits des Palestiniens. Dans le fil de cette présomption, le président US Barak Obama a essayé jusqu’à récemment de mettre le premier ministre de droite Benjamin Netanyahou, sur une voie de garage au profit de son ministre de la défense, Ehud Barak du parti travailliste de gauche, ainsi que de la dirigeante de l’opposition, Tzipi Livni du parti centriste Kadima.

Mais comme la droite israélienne le fait souvent remarquer, les partis de gauche et du centre, prétendument favorables à la paix, ont occupé le pouvoir pendant longtemps pour n’obtenir que de déplorables résultats s’agissant de la création d’un État palestinien, notamment pendant le processus d’Oslo. La population des colonies par exemple, n’a jamais augmenté aussi rapidement que pendant la brève période où M. Barak a été premier ministre, il y a 10 ans.

Ce que le nouveau débat sur l’État unique révèle est que, certains membres de la droite - même parmi les colons - se révèlent disposés à partager un État avec les Palestiniens, tandis que la gauche s’obstine à combattre une telle solution.

Dans un supplément du journal libéral israélien Haaretz publié le week-end dernier sur cette question, Yossi Beilin, ancien dirigeant du parti Meretz très colombe et l'un des architectes des accords d’Oslo, a dit au nom de la gauche sioniste que la solution à un État n’avait pas de sens. Il a ajouté avec dédain «cela ne m’intéresse pas de vivre dans un État qui n’est pas juif».

La gauche israélienne s’accroche résolument à l’objectif qu’elle a adopté depuis que M. Barak a assisté aux pourparlers infructueux de Camp David de 2000, à savoir, l’annexion de la plupart des colonies de Cisjordanie et de toutes celles de Jérusalem-Est. D’après le consensus de la gauche, le mur de séparation, une idée de M. Barak, maintiendra en place la quasi totalité des 500 000 colons, tandis qu’une population palestinienne aigrie sera regroupée dans un ensemble de ghettos appelé indument l’État palestinien. L’objectif de cette séparation, dit-on à gauche, est de protéger le caractère juif d’Israël face à une majorité palestinienne envahissante au cas où il n’y aurait pas de partition du territoire.

Le problème avec la solution de la gauche a été résumé par Tzipi Hotoveley, juriste principale du Likoud, qui a récemment déclaré son soutien pour un État unique. «Il y a une faille morale ici [chez la gauche]... Il en résulte une solution qui perpétue le conflit et qui fait de nous, pour parler franchement, des auteurs de massacres après avoir été des occupants. C’est la gauche qui a fait de nous une nation plus cruelle et qui met aussi notre sécurité en péril».

La droite commence à comprendre que la séparation suppose non seulement l’abandon du rêve du Grand Israël, mais qu’elle fera de Gaza le modèle pour la Cisjordanie. Les Palestiniens, exclus et assiégés, devront être "pacifiés" à coups d’attaques militaires régulières comme celle qui a été lancée contre Gaza pendant l’hiver de 2008 et qui a valu à Israël l’opprobre international. A droite, certains estiment qu’Israël ne survivra pas longtemps à de tels outrages.

Mais alors que la droite reconsidère ses positions historiques, la gauche en est encore à préconiser comme toujours une séparation ethnique et l’édification du mur.

Ce sont les idéologues sionistes travaillistes qui, avant la création de l’État, ont été les premiers à plaider en faveur de la ségrégation sous les bannières de «main-d’œuvre juive» et «rédemption de la terre» et qui ont ensuite adopté la politique de transfert. Ce sont les fondateurs travaillistes de l’État juif qui ont réalisé l’expulsion massive des Palestiniens sous couvert de la guerre de 1948.

En revanche, pour la droite, la création d’un territoire juif «pur» n’a jamais été un principe sacré. Très vite, elle s’est résignée à partager la terre. Vladimir Jabotinsky, père intellectuel du Likoud, a en fait présenté la doctrine du «mur d’acier» qui a été très mal comprise, comme une alternative aux politiques de ségrégation et d’expulsion des sionistes travaillistes. Jabotinsky comptait vivre avec les Palestiniens, mais préférait les faire plier sous une poigne d’acier.

Les successeurs de Jabotinsky se heurtent au même dilemme. La plupart, comme M. Nétanyahou, croient toujours qu’Israël a le temps d’étendre son contrôle en achetant les Palestiniens avec des miettes, en diminuant par exemple le nombre de postes de contrôle ou en leur accordant des incitations économiques mineures. Mais un nombre croissant de dirigeants du Likoud reconnait que les Palestiniens n’accepteront pas ce modèle d’apartheid pour toujours.

Au premier plan, il y a Moshe Arens, ancien ministre de la défense et gourou du Likoud qui a récemment écrit que l’octroi de la citoyenneté à bon nombre de Palestiniens sous occupation «mérite d’être examiné sérieusement». Reuven Rivlin, speaker du Parlement, a concédé que «le moindre mal est un État unique dans lequel tous les citoyens jouissent de droits égaux».

Nous ne devrions pas idéaliser ces convertis du Likoud. Ils ne parlent pas de «l’État de tous les citoyens» exigé par une petite minorité de juifs non sionistes. La plupart exigeraient que les Palestiniens acceptent de vivre dans un État dominé par des juifs. Arens par exemple, veut exclure le million et demi de Palestiniens de Gaza de la citoyenneté afin de maintenir artificiellement dans son État une majorité juive pendant quelques décennies de plus. Personne ne semble envisager le droit au retour des millions de réfugiés palestiniens. Et presque tous compteraient que pour être citoyen, il faudrait attester de sa loyauté ce qui ramènerait les nouveaux citoyens palestiniens aux mêmes rapports à problèmes avec un État juif que ceux que connaît l’actuelle minorité palestinienne à l’intérieur d’Israël.

Néanmoins, la droite montre qu’elle est peut-être plus disposée à redéfinir ses paradigmes que la gauche sioniste. Et en fin de compte, elle infligera peut-être un démenti à Washington en s’avérant plus capable de réaliser la paix que les architectes d’Oslo.


Jonathan Cook
Écrivain et journaliste, basé à Nazareth, Israël.
Membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont été présentés le 4 mars 2009.
27.07.10
Source: info palestine

vendredi 30 juillet 2010

Les bienfaits (soigneusement cachés) de nos "démocraties éclairées"...


« Fallujah, c’est pire qu’Hiroshima »

Je viens juste de regarder une rediffusion d’une émission d’Al-Jazeera préparée par Ahmad Mansour - une entrevue avec le professeur Chris Busby. Le professeur Chris Bubsy est un scientifique et le directeur de Green Audit, et secrétaire scientifique du comité européen sur les risques liés aux radiations [European Committee on Radiation Risks].

Le professeur Busby a publié beaucoup d’articles sur les radiations, l’uranium et la contamination dans des pays tels que le Liban, le Kosovo, Gaza et naturellement l’Irak.
Je vais me focaliser ici sur ses dernières découvertes qui étaient le sujet du programme diffusé sur Al-Jazeera.

Comme certains d’entre vous le savent, Fallujah est une ville interdite. Elle a été soumise à d’intenses bombardements en 2004, avec des bombes enrichies à l’uranium [DU] et au phosphore blanc, et depuis elle est devenue zone interdite - ce qui signifie que les autorités fantoches irakiennes et les forces d’invasion/d’occupation des États-Unis ne permettent à personne d’entreprendre une véritable étude dans Fallujah. Fondamentalement, Fallujah est sous état de siège.

Il est évident que les Américains et les Irakiens savent quelque chose et le cachent au public. Et c’est là qu’entre en scène le professeur Chris Busby. Il était et est toujours résolu à aller au fond de ce qui s’est passé dans Fallujah en 2004.

Étant un des premiers scientifiques dans son domaine, il s’est lancé dans une étude sur Fallujah dont les résultats préliminaires seront publiés dans 2 semaines - si tout se passe bien.
Le professeur Busby a rencontré beaucoup d’obstacles alors qu’il entreprenait ce projet. Ni lui ni personne de son équipe n’a été autorisé à entrer dans Fallujah pour y conduire des entretiens. Mais, dit-il, quand la porte principale se ferme, il faut trouver d’autres portes à ouvrir. Et c’est ce qu’il a fait. Il est parvenu à réunir une équipe d’Irakiens de Fallujah afin que ceux-ci mènent les enquêtes pour lui.

Le projet de recherche s’appuie sur 721 familles de Fallujah, ce qui représente 4500 participants - vivant aussi bien dans des zones à niveau élevé de rayonnement que dans des zones à bas niveau. Les résultats ont été comparés avec un groupe de contrôle - un échantillon du même nombre de familles vivant dans une zone non radioactive dans d’autres pays arabes. Pour les besoins de l’étude ont été choisis trois autres pays pour la comparaison: le Kowéit, l’Egypte et la Jordanie.

Avant d’aborder les résultats préliminaires, je dois noter ce qui suit :
- Les autorités irakiennes ont menacé tous les participants de cette enquête d’arrestation et de détention si elles coopéraient avec les «terroristes» qui les interviewaient. En d’autres termes, elles ont été menacées d’être sous le coup de la loi anti-terroriste.
- Les forces des États-Unis ont interdit au Dr. Busby de recueillir n’importe quelle donnée, arguant du fait que Fallujah est une zone insurrectionnelle.
- Les médecins de Fallujah ont décliné la demande de passer dans le programme télévisé d’Ahmad Mansour parce qu’ils avaient reçu plusieurs menaces de mort et craignaient pour leurs vies.

En d’autres termes, l’étude a été entreprise dans des conditions très difficiles et représentant un danger pour la vie des participants. Mais elle a néanmoins été menée à bien.
Comme le programme n’a pas été téléchargé sur Youtube, je ne peux pas donner de transcription mot-à-mot de l’émission. J’ai pris des notes rapides à la main et mémorisé le reste. Mais je ferai de mon mieux pour présenter tous les faits que j’ai appris aujourd’hui.

Qu’est-ce donc que les Etats-Unis et leurs marionnettes irakiennes ne veulent pas que le public sache? Et pourquoi ne permettent-ils aucune mesure des niveaux du radiation dans Fallujah, et pourquoi ont-ils même interdit à l’AIEA [Agence Internationale de l'Énergie Atomique] d’entrer dans la ville?
Que s’est-il exactement passé dans Fallujah? Quels étaient les types de bombes utilisées? Était-ce uniquement des bombes à l’uranium ou y avait-il encore quelque chose d’autre?

1) Une chose qui est très impressionnante dans Fallujah est que les taux de cancer ont nettement augmenté dans un très court laps de temps, en fait depuis 2004. Voici des exemples fournis par le Dr. Busby:
- le taux de leucémie d’enfant est de 40 fois plus élevé, depuis 2004, que pendant les années qui précédent. Et comparé à la Jordanie, par exemple, ce taux est de 38 fois plus élevé;
- le taux de cancer du sein est 10 fois supérieur à ce qu’il était avant 2004;
- le taux de cancer du système lymphatique est de 10 fois supérieur à ce qu’il était avant 2004.

2) Une autre particularité à Fallujah est l’élévation dramatique du taux de mortalité infantile. Comparé à 2 autres pays arabes comme le Kowéit et l’Egypte qui ne sont pas affectés par les radiations, voici les chiffres:
- le taux de mortalité infantile pour Fallujah est 80 enfants en bas âge sur 1000 naissances (80 pour 1000), alors que pour le Kowéit ce taux est de 9 enfants en bas âge sur 1000, et pour l’Egypte de 19 enfants en bas âge sur 1000. (Donc le taux de mortalité infantile en Irak est 4 fois plus élevé qu’en Egypte et 9 fois plus élevé qu’au Kowéit.)

3) La troisième particularité à Fallujah est le nombre de déformations d’origine génétique qui a explosé après 2004. C’est un sujet que j’ai déjà traité dans le passé. Mais ce n’était pas une étude complète, et aujourd’hui j’ai appris autre chose. Les rayonnements produits par un agent qui a été employé par «les forces de libération» causent non seulement de très nombreux défauts d’origine génétique mais provoque également, et c’est très important, des changements structurels au niveau cellulaire.

Quelles en sont les conséquences ?
- En raison du code génétique des enfants en bas âge de sexe masculin (manque de chromosome X), ceux-ci risquent plus de mourir à la naissance, et les enfants en bas âge de sexe féminin ont plus de chance de survivre à la naissance avec de fortes déformations. Et ici un autre exemple est fourni par le Dr. Busby: avant 2003 les taux de natalité dans Fallujah étaient comme suit: 1050 enfants de sexe masculin pour 1000 enfants de sexe féminin. En 2005, il y a eu la naissance de seulement 350 enfants de sexe masculin pour 1000 bébés de sexe féminin - ce qui signifie que les bébés de sexe masculin ne survivent pas.
- Quant aux bébés de sexe féminin, et c’est là que se trouve le pire de la tragédie... les radiations provoquent des changements au niveau de l’ADN, ce qui signifie que ces même enfants de sexe féminin, s’ils survivent et s’ils se reproduisent plus tard, donneront naissance à des filles génétiquement déformées et à des bébés de sexe masculin morts-nés.
- Les résultats mentionnés ci-dessus sont corrélés par d’autres études menées sur les enfants des enfants des survivants d’Hiroshima (en 2007) et qui prouvent que même la troisième génération affiche des malformations génétiques comprenant des maladies chroniques (cancer, coeur, etc...) à un taux 50 fois supérieur à la normale. À Chernobyl, d’autre part, les études sur des animaux de la même zone ont prouvé que les effets des rayonnements ont génétiquement modifié 22 générations. En somme les effets des rayonnements sont transmis de gène en gène et ont un effet cumulatif avec le temps (je n’entrerai ici pas dans le détail sur la façon dont cela se réalise. Vous pourrez lire plus d’explications à ce sujet une fois que le document du Dr. Busby sera édité).
- Certaines des déformations infantiles sont si terribles qu’Al-Jazeera et la BBC - qui a produit un documentaire sur le même sujet - ont refusé de diffuser certaines images. Les exemples de malformations dont les photos sont en la possession d’Ahmad Mansour sont:
*des enfants nés sans yeux
*des enfants avec deux et trois têtes
*des enfants nés sans orifices
*des enfants nés avec des tumeurs malignes au cerveau et à la rétine de l’oeil
*des enfants nés avec l’absence d’organes vitaux
*des enfants nés avec des membres manquants ou en trop
*des enfants nés sans parties génitales
*des enfants nés avec de graves malformations cardiaques.... Etc ...

- Sur ces mêmes aspects, les médecins de Fallujah ont été invités pour les besoins de l’étude à noter les taux de malformations à la naissance en l’espace d’un mois et de comparer les chiffres avec le mois qui a précédé. Voici les résultats: en l’espace d’un seul mois, les seules naissances avec malformations dans le mois courant ont augmenté de 3 par rapport au mois qui précède (le mois courant indiqué pour l’étude était février 2010).
- L’uranium est introduit dans le sang par la digestion et la respiration. Les quantités extrêmement élevées d’uranium auxquelles les gens de Fallujah ont été soumis expliquent l’élévation vertigineuse des cancers des ganglions, des poumons, des seins et du système lymphatique chez les adultes.
- Il y a 40 autres secteurs fortement irradiés en Irak, mais Fallujah est LE PIRE DE TOUS.

Rien qu’avec ces résultats préliminaires, le Dr. Busby et son équipe en ont conclu que par rapport à Hiroshima et à Nagazaki, Fallujah était pire. Et je cite de Dr. Busby: «La situation dans Fallujah est effrayante et affreuse, c’est encore plus dangereux et pire qu’à Hiroshima...»

J’ai noté que ce sont des résultats préliminaires. Pourquoi ai-je noté cela ?
Parce que le Dr. Busby a été harcelé. Il a vu se réduire ses fonds pour la recherches, et des portes se sont fermées sous sous nez. Il a été menacé (comme l’ont été d’autres scientifiques qui ont conduit des études semblables dans les années 90 en Irak), abandonné par la communauté scientifique, attaqué — en raison de la nature de son travail sur l’Irak. Les implications politiques sont énormes et dangereuses pour les Etats-Unis et leurs seconds couteaux. Cela montre bien que la preuve scientifique que des crimes de guerre ont été commis, se trouve vraiment ici à portée de main ...

En conséquence, la vie du Dr. Busby a été rendue très difficile. La publication sur les travaux de recherche pour lesquels il a énormément travaillé, a été envoyée au Lancet afin d’être soumise au comité scientifique de la revue. Le Lancet a retourné le projet d’article, disant ne pas avoir le temps de l’étudier. Des laboratoires ayant coopéré dans le passé pour examiner des échantillons les ont cette fois-ci retournés après avoir découvert que ces échantillons venaient d’Irak. Seuls 2 laboratoires sont disposés à examiner les mêmes échantillons pour trouver l’agent exact utilisé dans Fallujah - mais ils sont prêts à le faire uniquement à un prix tout à fait exorbitant à cause de la nature sensible de l’étude. Mais en raison du manque d’argent, le Dr. Busby attend les fonds nécessaires pour faire analyser une vingtaine d’échantillons provenant de Falluja et qu’il conserve soigneusement .

Questionné par Ahmad Mansour sur ce qui l’incitait à persévérer, quand on considère tous les obstacles formidables qu’il a été obligé de surmonter, sa réponse a été:
«Toute ma vie, j’ai cherché la vérité, je suis un chasseur de la vérité dans une jungle de mensonges. J’ai également des enfants. Les enfants sont non seulement notre futur, ils sont les porteurs des générations futures. Depuis 50 ans nous avons souillé la planète (avec les radiations) et nous faisons supporter cet héritage à nos enfants et petits enfants. Nous avons l’obligation pour les gens de Fallujah de découvrir la vérité.»

Interrogé sur la façon dont il peut poursuivre ses travaux sans financement et face à des portes se fermant devant lui, il a répondu:
«Je compte sur la bonne volonté de personnes ici et là qui envoient de petites sommes d’argent, et je suis également fermement persuadé que si la porte principale se ferme, il faut en ouvrir d’autres. Quand il y a une volonté, il y a toujours un chemin.»

Chapeaux bas devant vous ! Professeur Busby...
J’incite toutes les personnes lisant ce courrier, toutes les personnes de conscience, je pousse tous les Irakiens (réagissez! pour l’amour de Dieu!) et tous les Arabes à prendre contact avec le Dr. Busby et faire une donation afin que les échantillons provenant de Fallujah puissent être examinés et que la vérité puisse être découverte. Et je finirai ce courrier avec une dernière citation de ce grand homme dévoué:
« La vérité a des ailes qui ne peuvent être coupées. »

Je dois m’arrêter ici. C’est déjà le matin et je n’ai pas encore dormi. J’ai voulu transmettre tout cela au monde... La question que je vais garder avec moi — si jamais je peux fermer l’oeil — est la même question que celle que j’ai toujours posée depuis 2003: «Pourquoi? Qu’est-ce que le peuple irakien, qu’est-ce que les enfants irakiens vous ont fait pour mériter tout cela?»

Layla Anwar
02.07.10
Source: mondialisation.ca

jeudi 29 juillet 2010

Il y a quelques jours, ici-et-là était fêté le cinquantenaire de l’indépendance de l’Afrique francophone, amère dérision en guise de célébration



Paris, 16 juin 2010 – La France célèbre le cinquantenaire des indépendances de ses anciennes colonies africaines par l’organisation de deux cent cinquante (250) manifestations culturelles et sportives sur le territoire métropolitain et en Afrique, mais cette débauche de manifestations se déroule au sein du monde intellectuel africain sur fond d’une amère dérision d’une dérisoire indépendance.


Un budget de 16,3 millions d’euros a été alloué pour fêter cet événement qui concerne les quatorze pays suivants: Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo Brazzaville, Côte d’Ivoire, Gabon, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad et Togo.
Dans un geste destiné vraisemblablement à compenser le traitement inique et injuste réservé aux «oubliés de la république», le clou du spectacle sera le défilé militaire du 14 juillet où les armées des anciennes colonies défileront sur les Champs Elysées aux côtés de l’armée française. A l’exception de l’armée ivoirienne. L’ancien enfant chéri de la Françafrique, dont l’armée avait bombardé une position française à Bouaké en 2004, «entend célébrer seule ce cinquantenaire dans le cadre de sa politique nationale de refondation, a expliqué Jacques Toubon, ancien ministre de la Culture et de la francophonie, secrétaire général du cinquantenaire des Indépendances. C’est son choix souverain». Choix souverain qui illustre néanmoins l’érosion de la position française dans son ancien pré carré.

Dans une position qui tranche avec ses protestations anti-iraniennes lors de la réélection du président Mohamad Ahmadinejad, en juin 2009, la France a invité tous les pays africains francophones quelque soit le comportement des armées africaines à l’égard de leur population: 500 morts au Togo après les élections contestées de 2005, 100 morts au Cameroun pendant les émeutes de la faim de 2008, un conflit larvé depuis 1982 en Casamance, région du sud du Sénégal.
Au delà du défilé, La France a observé le rituel des rencontres franco-africaines: un sommet franco-africain a réuni, les 31 mai juin et 1er juin, à Nice, à proximité du paradis fiscal de la principauté de Monaco, l’ensemble de la communauté franco-africaine pour un huis clos consacré au secteur privé et à la négociation des contrats en présence de 150 entreprises africaines et 50 entreprises françaises.

Lors de ce sommet tenu en pleine tourmente mondiale consécutive à l’abordage meurtrier israélien d’une flottille humanitaire de pacifistes pro-palestiniens, Nicolas Sarkozy n’a pas en effet lésiné sur les promesses, les engagements et les petites phrases pour flatter les dirigeants du continent, répétant qu’il allait «faire une place à l’Afrique» dans les enceintes internationales, notamment le Conseil de sécurité de l’ONU.
Dans la perspective de sa double présidence du G20 et du G8 fin 2010, qu’il souhaite mettre à profit pour redorer son blason politique après la débâcle subie par sa majorité lors des élections régionales de mars 2010, il a besoin de l’Afrique, qui représente 25% des pays membres de l’ONU.
Le quotidien burkinabé «Le Pays» a toutefois dénié à Nicolas Sarkozy le droit de se poser en avocat de l’Afrique sur un tel dossier, estimant qu’il incombait à l’Union Africaine de mener bataille pour décrocher pour le compte de l’Afrique un siège de membre permanent au Conseil de sécurité, le continent ayant «intérêt à trouver meilleur avocat que Nicolas Sarkozy, car en tant qu’ex-puissance coloniale, la France n’apporte pas un soutien très crédible».

Une cinquantaine de mouvements politiques ont par ailleurs dénoncé la double dimension de la politique de la France vis à vis de l’Afrique: Une politique extérieure, prédatrice au niveau économique, destructrice de l’environnement et contraire à l’intérêt des peuples africains et français, une politique migratoire, qui désigne des boucs émissaires quand il faudrait aider et régulariser. «La France, dans une Europe forteresse, dénonce hypocritement l’afflux de réfugiés économiques et climatiques qu’elle contribue à créer plutôt que d’agir directement sur les causes, qu’une aide au développement trop souvent détournée de ses objectifs ne parviendra jamais à combattre efficacement», conclut le communiqué.

Voulue par le président Sarkozy, «la grande fête africaine en hommage aux tirailleurs», le 14 juillet, prend le risque de rendre hommage au passé colonial, plutôt qu’à l’indépendance. «Y a-t-il vraiment quoi que ce soit à commémorer ou faut-il au contraire tout reprendre?» La très pertinente question, posée par l’intellectuel camerounais Achille Mbembé, ne semble pas avoir fait beaucoup réfléchir à Paris.

L’offre de service de l’Afrique au reste du monde
Empruntant à son tour le langage de la dérision, un groupe d’intellectuels africains a dressé le CV suivant de l’Afrique en guise de commémoration du cinquantenaire de l’indépendance de l’Afrique francophone, dont renenaba.com reproduit le texte sans la moindre retouche. Voici dans son intégralité le texte criant d’une douloureuse vérité :

A l’Europe, l’Amérique, l’Asie
Objet : Demande d’agrément
Homologues,
spécialisée dans le domaine des coups d’Etats, de la guerre, et surtout dans la vente des matières premières et de la sous-traitance, moi Afrique, je viens par la présente, porter à votre connaissance, une liste exhaustive de matières premières et autres richesses, dans le but de parer à d’éventuels problèmes liés à la pauvreté, avec des représentations de marque reconnue et à des prix avantageux. Vous avez entre autres :
    -DE L’URANIUM VENU DU NIGER.
    -DU CACAO DE PREMIER CHOIX PRODUIT EN CÔTE D’IVOIRE.
    -LE PETROLE DU GOLFE DE GUINEE.
Aussi, faut-il préciser que le service après-vente et les prestations associées à mes produits, bénéficient de l’agrément de mes enfants. Cela dit, je suis toujours disposée à vous les faire parvenir quelles que soient les voies et les moyens, pour des interventions physiques de tout genre et de toute nature.
Ainsi, la qualité de mes hommes et femmes favorisera une rapidité dans le service et une facilité dans la transformation des produits quelle que soit l’ampleur de la demande.
Assurant la garantie et la maintenance des produits distribués, sachez pour finir, que nos contrats taillés sur mesure, assureront toujours la pérennité de votre richesse et nous avons la certitude que cela restera pour vous un gage de garantie permettant de mériter votre confiance.
Vous trouverez ci-joint, mon curriculum vitae riche de misère, dans lequel vous aurez plus amples informations sur mon cursus et mon savoir faire.
Persuadée de pouvoir apporter une réelle contribution à vos développements, sachant vos compétences et assurée de la faveur de vos ordres en cas de besoin, recevez Homologues, l’expression de mon dévouement et de mon insouciance sans précédent.
Pour l’Afrique.
CURRICULUM VITAE
    Nom : Continent
    Prénom : Africain
    Âge: Berceau de l’humanité.
    Situation matrimoniale : Célibataire avec plus d’un milliard d’enfants.
    Contact : Au sud de l’Europe, à l’est de l’Amérique.
    Objectif : Mettre mes enfants et mes ressources à la disposition des autres pour contribuer à leurs développements.
    Domaines de compétence : Coups d’Etats, guerres, génocides.
ETUDES ET FORMATIONS
    Hautes études à l’ESOCE (Ecole Supérieure Occidentale de Commerce d’Esclaves).
    Hautes études à l’AFRIQUE (L’Africaine de Formation pour la Réélection des Incompétents, Querelleurs, Usurpateurs et Egoïstes).
DIPLÔMES OBTENUS
    Le MRTS (Médaille de Reconnaissance du Tirailleur Sénégalais).
    Le GPRTT (Génocide le Plus Rapide de Tous les Temps).
    Le CPRMPP (Continent le Plus Riche Mais le Plus Pauvre).
    Le CPTS (Continent le Plus Touché par le SIDA).
    Le CPDPP (Continent ou les Présidents Durent le Plus au Pouvoir).
    Le PMDDP (Premier en Matière de Détournement de Deniers Publics).
    Le CPE (Continent le plus endetté).
    Le CN (Continent  «Noir»)
EXPERIENCES
    Participation aux deux guerres mondiales.
    Mes coups d’Etats :
    •1952 : Égypte, Mohammed Naguib renverse Farouk Ier
    •1958 : Soudan, Ibrahim Abboud renverse Abdullah Khalil
    •1963 : Congo, David Moussaka et Félix Mouzabakani renversent Fulbert Youlou
    •1963 : Togo, Emmanuel Bodjollé renverse Sylvanus Olympio
    •1965 : Algérie, Houari Boumédiene renverse Ahmed Ben Bella
    •1965 : Zaïre, Mobutu Sesse Seko renverse Joseph Kasa-Vubu
    •1966 : Ghana, Kwamé N Krumah est renversé par une junte militaire alors qu’il est en voyage en Chine
    •1966 : Burkina Faso, Sangoulé Lamizana renverse Maurice Yaméogo
    •1966 : Burundi , Michel Micombero renverse Ntare V
    •1966 : Centrafrique, Jean Bédel Bokassa renverse David Dacko
    •1966 : Nigeria, Johnson Aguiyi-Ironsi renverse Nnamdi Azikiwe
    •1966 : Ouganda, Milton Obote renverse Edward Mutesa
    •1968 : Mali, Moussa Traoré renverse Modibo Keïta
    •1969 : Libye, Mouammar Kadhafi renverse Idris Ier
    •1969 : Soudan, Gaafar Nimeiry renverse Ismail al-Azhari
    •1971 : Ouganda, Idi Amin Dada renverse Milton Obote
    •1973 : Rwanda, Juvénal Habyarimana renverse Grégoire Kayibanda
    •1974 : Éthiopie, Aman Andom renverse Hailé Sélassié Ier
    •1974 : Éthiopie, Mengistu Haile Mariam renverse Aman Andom
    •1974 : Niger, Seyni Kountché renverse Hamani Diori
    •1975 : République fédérale islamique des Comores, Saïd Mohamed Jaffar renverse Ahmed Abdallah
    •1975 : Nigeria, Yakubu Gowon renverse Johnson Aguiyi-Ironsi
    •1975 : Tchad, Noël Milarew Odingar renverse François Tombalbaye
    •1976 : Burundi, Jean-Baptiste Bagaza renverse Michel Micombero
    •1976 : République fédérale islamique des Comores, Ali Soilih renverse Saïd Mohamed Jaffar
    •1977 : Congo, Joachim Yhombi-Opango renverse Marien Ngouabi
    •1977 : Éthiopie, Mengistu Haile Mariam renverse Tafari Benti
    •1978 : République fédérale islamique des Comores, Said Atthoumani renverse Ali Soilih
    •1978 : Mauritanie, Mustafa Ould Salek renverse Moktar Ould Daddah
    •1979 : Centrafrique, David Dacko renverse Bokassa Ier
    •1979 : Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo renverse Francisco Macías Nguema
    •1979 : Tchad, Goukouni Oueddei renverse Félix Malloum
    •1979 : Ouganda, Yusufu Lule renverse Idi Amin Dada
    •1980 : Burkina Faso, Saye Zerbo renverse Sangoulé Lamizana
    •1980 : Guinée-Bissau, João Bernardo Vieira renverse Luis de Almeida Cabral
    •1980 : Au Libéria, Samuel Doe renverse William Richard Tolbert
    •1981 : Centrafrique, André Kolingba renverse David Dacko
    •1982 : Burkina Faso, Jean-Baptiste Ouédraogo renverse Saye Zerbo
    •1982 : Tchad, Hissène Habré renverse Goukouni Oueddei
    •1983 : Burkina Faso, Thomas Sankara renverse Jean-Baptiste Ouédraogo
    •1983 : Nigeria, Muhammadu Buhari renverse Shehu Shagari
    •1984 : Guinée, Lansana Conté renverse Louis Lansana Beavogui
    •1984 : Mauritanie, Maaouiya Ould Taya renverse Mohamed Khouna Ould Haidalla
    •1985 : Ouganda, Basilio Olara Okello renverse Milton Obote
    •1985 : Soudan, Swar al-Dahab renverse Gaafar Nimeiry
    •1986 : Soudan, Ahmed al-Mirghani renverse Swar al-Dahab
    •1987 : Burkina Faso, Blaise Compaoré renverse Thomas Sankara
    •1987 : Burundi, Pierre Buyoya renverse Jean-Baptiste Bagaza
    •1987 : Tunisie, Zine el-Abidine Ben Ali renverse Habib Bourguiba
    •1989 : Soudan, Omar el-Béchir renverse Ahmad al-Mirghani.
    •1990 : Libéria, Prince Johnson renverse Samuel Doe
    •1991 : Mali , Amadou Toumani Touré renverse Moussa Traoré
    •1992 : Algérie, le Haut conseil de securité renverse Chadli Bendjedid
    •1995 : République fédérale islamique des Comores, Ayouba Combo renverse Said Mohamed Djohar
    •1996 : Burundi, Pierre Buyoya renverse Sylvestre Ntibantunganya
    •1996 : Niger, Ibrahim Baré Maïnassara renverse Mahamane Ousmane
    •1997 : Zaïre/République démocratique du Congo, Laurent Désiré Kabila renverse Mobutu Sese Seko
    •1999 : Union des Comores, Azali Assoumani renverse Tadjidine Ben Said Massounde
    •1999 : Côte d’Ivoire, Robert Guéï renverse Henri Konan Bédié
    •1999 : Guinée-Bissau, Ansumane Mané renverse João Bernardo Vieira
    •1999 : Niger, Daouda Malam Wanké renverse Ibrahim Baré Maïnassara
    •2003 : Centrafrique, François Bozizé renverse Ange-Félix Patassé
    •2003 : Guinée-Bissau, Verissimo Correia Seabra renverse Kumba Yala
    •2005 : Mauritanie, Ely Ould Mohamed Vall renverse Maaouiya Ould Taya
    •2008 : Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz renverse Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi
    •2008 : Guinée, Moussa Dadis Camara s’accapare du pouvoir à la mort de Lansana Conté
    •2009 : Madagascar, Andry Rajoelina dénonce et renverse à une vitesse impressionnante le régime de Marc Ravalomanana
    •2010 : Niger, Salou Djibo renverse Tandja Mamadou
AUTRES CONNAISSANCES
    Analphabétisme, déscolarisation, chômage et appauvrissement.
LOISIRS
    Troubles, faire beaucoup d’enfants et famine.

Amère célébration pour une dérisoire indépendance.


Groupe d'universitaires africains poursuivants leurs études en France
16.06.10
Source: renénaba.com

mercredi 28 juillet 2010

« C'est la civilisation la plus fragile de l'Histoire »



Il teste et vante depuis cinquante ans la « sobriété heureuse ». Pierre Rabhi est un Gandhi à la française, version agricole.
Le grand public a un peu entendu parler de lui lors de sa pré-campagne présidentielle de 2002, ou dans le dernier film de Coline Serreau. Chez les écolos convaincus, il est un des penseurs qui comptent le plus.

Lui n'a pas « fait le Larzac », car la communauté ce n'est pas son truc. Il n'a pas été embringué par Europe Ecologie non plus. Il a simplement cultivé son jardin, écrit des livres (dont Parole de terre - Une initiation africaine - Ed. Albin Michel - 1996 - ndlr), et développé ce qu'il a appelé l'«agroécologie», une agriculture plus bio que bio mais sans logo. Il exporte ses techniques dans le monde entier, surtout en Afrique.

Son «mouvement des oasis en tous lieux» a donné naissance à des oasis réelles, dont l'association Terre et humanisme est le principal fer de lance. Ce «pape» des révoltés de la société de consommation nous a reçu chez lui, en Ardèche. En le voyant déambuler dans son jardin et s'émerveiller face à la nature, on comprend mieux le personnage.
 
- Rue89: Jamais la consommation bio, le développement durable ou le vote vert ne se sont aussi bien portés. Y voyez-vous un bon signe?
- Pierre Rabhi : Tant que l'écologie restera une question subsidiaire qu'on traite par des «Grenelle», tout cela ne sera que diversion et amusement. L'écologie devrait être transversale, la préoccupation de tout être humain, car ça concerne rien de moins que notre survie ou notre disparition.

Les Etats ne sont pas assez honnêtes pour considérer cette question comme absolument essentielle, ils préfèrent perfectionner ce qui sert la mort (comme les armes) que ce qui sert la vie. Servir le lucre et la puissance du lucre, et pour cela piller les mers, détruire les forêts et les sols…

- Qu'appelez-vous la « toute puissance du lucre » exactement ?
- La planète est devenue le théâtre d'une pièce ambiguë qui repose sur la toute puissance du lucre, la quête du profit. Si vous n'avez plus de ressources, vous n'existez pas. Nous devons changer de paradigme: au lieu de postuler que «la Terre nous appartient», nous devons prendre conscience que «nous appartenons à la Terre». L'être humain et la nature, donc le respect de la vie, doivent revenir au cœur nos valeurs.

- Vous prônez une insurrection des consciences. La prévoyez-vous pour bientôt ?
- L'apocalypse est déjà sur la planète, simplement nous sommes peut-être encore du bon côté de la barrière. Le système invente des stratagèmes de tranquillisation généralisée. Les supermarchés sont pleins mais les gens ne savent pas que pour cela nous transportons de l'alimentation du Sud au Nord et de l'Est à l'Ouest, au détriment de notre capacité à la produire là où nous sommes.

Dans le Sud, je vois des gens qui n'ont pas assez pour se nourrir et qui cependant sont joyeux. Certains consomment la vie, d'autres comptent leurs milliards.

- Que vous inspire la réforme des retraites ?
- Moi je trouve qu'il n'y a rien de plus horrible que de naître pour travailler jusqu'à la fin de ses jours. Dès la maternelle et jusqu'à l'université, l'homme est enfermé dans une espèce de pénitencier, ensuite il y a des casernes, on va dans des boîtes, petites ou grandes, et pour s'amuser on va en boîte, et bien sûr on y va en caisse, et puis ensuite il y a les boîtes où on met les vieux en attendant la dernière boîte!

Il faut ajouter à ça les logements exigus alors que le monde est vaste, l'importance des divertisseurs… On exalte les stars, idoles d'un monde qui s'ennuie. C'est triste, tragique même.

Moi je ne veux pas vivre pour travailler, je veux travailler pour vivre. Ici, le paysage est magnifique, l'air est pur, il est gratuit, je ne veux pas renoncer à ça. Je me sens mieux qu'un milliardaire!

- Que dites-vous aux chefs d'entreprise qui vous sollicitent pour des conférences ?
- Le Medef m'invitait à réfléchir sur la question de savoir s'il existe une vie après la mort, mais je m'en fiche. Moi, ce qui m'intéresse c'est ce qui existe pendant que je suis vivant, s'il existe une vie AVANT la mort.

Le modèle est en train de se déglinguer, on se rend compte qu'on est dans la civilisation la plus fragile de toute l'histoire de l'humanité. Aujourd'hui vous supprimez le pétrole et l'électricité et tout le système s'effondre. C'est une société inintelligente qui s'est mise elle-même dans une sorte de traquenard dont on a du mal à sortir. Le pétrole sera sans doute l'enjeu d'une déflagration généralisée.

Que diraient des extraterrestres en regardant l'humanité ? Qu'elle est à la fois douée… et stupide. Avec Internet, nous sommes de plus en plus confinés dans un monde qui ne nous laisse plus l'espace de la vie.

- Que proposez-vous à ceux qui se sentent en insurrection intérieure mais doivent nourrir leur famille?
- Moi, je travaillais à Paris dans une usine et j'ai dit non. Il a fallu de l'audace pour plonger dans le vide, dans l'inconnu. Je suis devenu crédible parce que je fais ce que je dis, je dis ce que je fais. J'ai rendu la terre féconde.

Aujourd'hui, c'est structurellement plus difficile d'acheter un bout de terrain, mais moi je considère qu'avoir un morceau de terre pour se nourrir est un acte politique et de résistance.

- Vous voulez qu'on devienne tous paysans…
- Ce n'est pas ce que je préconise. Mais si tous les paysans faisaient grève, on se rendrait compte qu'ils sont importants. Si la SNCF fait grève, on attend. Si les paysans ne veulent plus nous nourrir, on fait quoi? La chose la plus importante c'est donc la terre qui nous nourrit. Une politique intelligente est une politique qui intègre cette idée du patrimoine nourricier.

- Le monde de l'après-crise va-t-il tendre vers la décroissance ?
- Aux élections de 2002, j'ai voulu me présenter pour ouvrir un espace de parole sur l'urgence écologique et humaine parce qu'on ne peut pas appliquer un système illimité à une planète limitée. A ce moment-là, j'ai prêché la décroissance de Nicholas Georgescu-Roegen, le seul qui mérite le prix Nobel. Aujourd'hui, ce qu'on appelle «économie» c'est le pillage, l'épuisement du capital vital. On est gonflé d'appeler ça «économie»!

L'Afrique qui a des richesses inouïes est considérée comme pauvre parce qu'on ne mesure que le PNB. Les richesses gratuites comme de s'occuper de sa vieille mère, élever ses enfants, sont des valeurs humaines. Cette mère de famille devrait-elle envoyer sa facture à l'Etat pour avoir fabriqué un petit producteur-consommateur qui paiera des impôts? C'est absurde.

- Le mouvement que vous avez inspiré est important tout en étant confidentiel. Vous semblez presque un demi-Dieu pour ceux qui viennent assister à vos conférences. Seriez-vous finalement une sorte de «gourou»?
- Je suis beaucoup trop respectueux de la personne humaine pour l'amener dans mon propre camp. Rendre les gens dépendants de quelqu'un, c'est l'horreur. Chacun son destin, sa spiritualité, ses croyances… Si certains ont cette sensation c'est soit que je me suis mal expliqué, soit qu'ils n'ont pas très bien compris ce que je suis.

Sophie Verney-Caillat 
24.07.10
Source: rue89

mardi 27 juillet 2010

La dépolitisation des citoyens dans les pays du nord : une fatalité ?




La dépolitisation de la majorité des citoyens (dans la plupart des pays dits « développés ») est un obstacle majeur à l’implantation de politiques progressistes pour l’humanité entière. En effet, s'il y a bien quelques personnes qui peuvent peser sur l’échiquier mondial ce sont bien les citoyens des dites démocraties «occidentales», aussi formelles soient-elles.


En effet, il semble quand même un peu plus facile d’agir et d’influencer les politiques qui déterminent le sens de la marche de la planète lorsqu’on se trouve proche de ces centres de décisions, et lorsqu’on ne risque pas de se retrouver avec une balle dans la tête le jour où l’on agit. Évidemment s’attaquer au système et aux pouvoirs en place entraine inévitablement une répression plus ou moins intense. Mon avis est que cette répression est accentuée lorsqu’on n’a pas le privilège d’être dans un Etat «de droit». Alors que les citoyens du Sud sont plus enclins à avoir une conscience politique plus appuyée malgré le fait de vivre dans des pays plus ou moins dictatoriaux, les citoyens du Nord quant à eux, bien que semblant reconnaitre que le système mène droit dans le mur, demeurent majoritairement apathiques, ne montrent pas de conscience politique ni de convictions concernant une alternative au système.

Certes, et heureusement, il y a certains groupes de gens qui essaient de faire bouger les choses, mais ne disposant pas d’un appui suffisamment important de la population, ils sont parfois qualifiés de sectaires. Il y a une peur de l’organisation dans la population des pays du Nord, qui semble se satisfaire d’un certain confort matériel pour certains, ou qui sont complètement défaitistes pour d’autres, qui est une conséquence de la dépolitisation de masse organisée par le pouvoir capitaliste pour assurer des profits à court terme à la pérennité du système à long terme.

Les plus importants outils de cette dépolitisation sont l’industrie médiatique (et sa cousine l’industrie culturelle) et l’idéologie capitaliste imposée comme inamovible et annihilant de facto tout début de pensée critique chez la majorité des gens. Cette liste, loin d’être exhaustive, revêt l’urgence d’une remise en question totale de ces deux constituantes à la dépolitisation de masse, mais par quels moyens?

Regardons tout d’abord les formidables outils que sont les médias en ce qui concerne l’aliénation politique du citoyen:
- tout d’abord, la politique est présentée comme un spectacle, de façon à assurer une distance entre le politicien et le citoyen, et une assurance que le citoyen de s’immiscera pas dans ce jeu dont il ne connait pas les règles, par manque de compétences adéquates (technocratisation, experts, «les politiciens se chargent de tout»). Cela donne une justification au simulacre de démocratie qu’est la démocratie représentative. Les politiciens ont carte blanche pour enfumer le citoyen pour une durée déterminée, tout en faisant plus ou moins croire à ces derniers que c’est dans leur propre intérêt. Mais, comme disait Coluche, «si les élections pouvaient changer quelque chose, elles seraient interdites.»

- ensuite, l’illusion de médias libres et indépendants est encore bien ancrée dans l’idéal des citoyens. Même les journalistes de ces médias de masse croient fermement être indépendants et garants de la liberté d’expression. Quand on regarde à la surface, il est vrai que la plupart du temps les journalistes essaient de se donner bonne conscience en critiquant le pouvoir en place, mais sans remettre en cause la pensée dominante. En résulte une aliénation et une apathie de la part des citoyens, qui en intériorisant leur aliénation tendent à préférer un certain journalisme de distraction, composé de faits divers et de faits spectaculaires. La marchandisation des médias et le surplus d’informations favorise cette tendance. Un exemple de cette «dérive» est la télévision berlusconienne, où l’a-politique au sens propre est la ligne de diffusion de fait. Les faits divers font diversion (Bourdieu). Je vous conseille de lire les livres Understanding Power et Manufacturing consent de Noam Chomsky pour comprendre en détail les rouages des médias de masse contemporains.

Berlusconi est un phénomène qui nous donne des indices sur notre futur. Sa manière de mêler ses fonctions politiciennes et médiatiques ne doivent rien au hasard et encore moins au fait que ce soit un clown ou non. Sous l’apparence du clown se cache un dangereux personnage qui donne bien des idées à certains hors d’Italie, jusqu’à en incarner une sorte d’idéal. Sarkozy en est un bon exemple, bien qu’atténué.

Bien que certaines différences culturelles puissent être observées entre les différents pays du Nord, il n’est pas risqué d’affirmer que ce phénomène médiatique est universel dans ces pays, et varie seulement en termes d’intensité (Fox news n’est pas identique à M6, mais le système leur impose un certain cadre).

Les médias sont de ce fait le véhicule de l’idéologie dominante, l’idéologie capitaliste, qui en la faisant accepter comme inamovible essaie de décrédibiliser, la plupart du temps avec succès, toute alternative qui engendrerait une remise en question de l’ordre établi. Il n’y a qu’a regarder les assimilations et amalgames faits de mots tels «communisme», «anarchisme», «socialisme» et la réduction des mouvements émancipatoires à des figures idéalisées tels des héros surhumains, voire complètement récupérées (Jaurès, Mocquet, Camus….). Il est indéniable que le capitalisme est très doué pour réattribuer les définitions des mots comme bon lui semble.

Le cynisme du capitalisme va jusqu’à récupérer les conséquences dramatiques de sa propre existence. Le brouhaha fait autour de l’écologie ces derniers temps en est une illustration on ne peut plus claire. Le capitalisme est la cause du besoin d’une croissance ininterrompue, astucieusement assimilée à du développement durable. Il suffit de s’interroger sur les causes de la croissance: plus de consommation entraine de la croissance, donc plus de production entraine la croissance, donc plus d’utilisation de ressources terrestres, plus d’émissions de gaz a effet de serre, etc… Cela est en termes capitaliste du développement durable.

Le progrès technique permet d’entretenir l’illusion que des technologies nouvelles permettant de réduire la consommation d’énergie peuvent à terme faire diminuer la pollution et le saccage de la planète. Premièrement: diminution ne signifie pas disparition, et deuxièmement il faut s’interroger sur l’effet rebond (un article intéressant sur l’effet rebond a été publié dans le monde diplomatique de juillet 2010: "Quand les technologies vertes poussent à la consommation" - Cédric Gossart):
«Votre fournisseur d’eau vous propose d’adopter un comportement écologique en passant à la facturation électronique. On économisera ainsi le papier, fait-il valoir. Et puisque, ce faisant, l’entreprise réduira ses frais, elle vous fera profiter de tarifs plus attractifs. L’écologie rejoindrait donc l’économie, pour le plus grand bénéfice de tous! Mais au fait… ces prix plus bas ne vous inciteront-ils pas à arroser votre pelouse, ou à prendre plusieurs bains par semaine? Est-ce toujours aussi écologique? Ce paradoxe, les économistes l’appellent «effet rebond». C’est peu dire qu’il assombrit les perspectives de l’économie "verte"»

L’écologie est donc du point de vue capitaliste une opportunité pour l’ouverture de nouveaux marchés: voitures hybrides, commerce équitable pour en citer quelques uns. Cela se reflète aussi dans un certain capitalisme culturel: est-ce que consommer des pommes organiques, du café “commerce équitable” starbucks contribuera à sauver la planète? La réponse semble évidente. Le capitalisme introduit désormais dans la consommation de produits une sorte d’expérience bénéfique, de façon à donner bonne conscience aux gens tout en les incitant à pérenniser le système.

Y a-t-il de l’espoir ? Comment les citoyens peuvent-ils se re-politiser ? La crise semble être un catalyseur à cette re-politisation, cependant, les effets de la crise ont été jusqu’à maintenant une montée en puissance des différents partis d’extrême droite dans la plupart des pays d’Europe. Ce système capitaliste de démocratie représentative semble être en fin de vie. La population dépolitisée est plus assujettie aux diverses manipulations de gens qui ne cherchent le pouvoir qu'à leur fin personnelle, et la création d’un bouc émissaire est toujours la solution la plus facile.

Il est donc urgent d’encourager la formation de diverses organisations donnant la parole aux citoyens de façon à ce qu’ils puissent partager leurs expériences à l’abri de la manipulation médiatique, et soumise à des intérêts totalement étrangers à ceux de la majeure partie de la population. Le questionnement des institutions est donc primordial à tout mouvement populaire et démocratique, la transformation de ces institutions et la formation d’alternatives ne peut se faire que si le citoyen est réellement informé de ce qui se passe dans le monde autour de lui et est conscient de son rôle en tant qu’être humain. Cela représente certes un travail énorme qui ne peut porter ses fruits qu’à long terme, mais nous n’avons pas d’autre choix pour rendre le monde plus juste et plus démocratique. Des relations solidaires entre populations du Nord et du Sud sont nécessaires.

Encourager les citoyens à s’impliquer localement de façon à transformer la société doit prendre plusieurs formes, le premier pas étant de les interpeller sur leur environnement direct, de façon à les rendre comme dirait Karl Marx «conscients de leurs propres chaînes».
Il semble impératif de s’organiser sans compter sur l’Etat, pour mieux le renverser. Prendre conscience des contradictions et du rôle de l’Etat pour mieux s’organiser est plus qu’une nécessité, c’est un devoir.

Cet article ne saurait être exhaustif, mais son but est de lancer un débat sur différentes façons d’impliquer les gens dans des problèmes les concernant, dans la vraie démocratie.

Mehdi
25.07.10
Source: le grand soir

lundi 26 juillet 2010

Parce qu'il s'agit d'un accident gravissime dont nos médias parlent trop peu, nous en avons déjà parlé et en reparlerons encore dans ce blog.




Une plaie béante dans le golfe du Mexique...

L’actuelle marée noire n’est pas un simple accident industriel mais une blessure profonde infligée à la Terre, souligne la journaliste militante Naomi Klein.




Le public venu assister à la réunion avait été prié à plusieurs reprises de faire montre de civilité à l’égard de ces messieurs de BP et du gouvernement fédéral. Ces éminentes personnalités avaient ménagé du temps dans leurs agendas surchargés pour se rendre, un mardi soir, dans le gymnase de l’école de Plaquemines Parish, en Louisiane, l’une des nombreuses communautés côtières où le poison brun envahit peu à peu les marais, résultat de ce que l’on évoque aujourd’hui comme le plus grand désastre écologique de l’histoire des Etats-Unis. “Adressez-vous à eux comme vous voudriez que l’on vous parle”, avait supplié une dernière fois le président de séance avant de laisser le public poser ses questions. Et pendant quelques instants la foule, composée pour l’essentiel de familles de pêcheurs, fit preuve d’une remarquable retenue. On écouta patiemment le très habile Larry Thomas, porte-parole de BP, jurer qu’il faisait son possible pour “améliorer” le traitement par sa compagnie des demandes d’indemnisations. On ne broncha pas aux propos du représentant de l’Environmental Protection Agency (EPA) [agence fédérale de protection de l’environnement], qui affirma que les dispersants chimiques répandus sur la nappe de pétrole n’étaient pas toxiques.

Le public commença toutefois à perdre patience lorsque le capitaine de la garde côtière, Ed Stanton, monta pour la troisième fois sur le podium pour leur assurer que “les gardes-côtes avaient bien l’intention de faire en sorte que BP s’acquitte du nettoyage”. “Mettez ça par écrit !” cria quelqu’un. Le pêcheur de crevettes Matt O’Brien s’approcha du micro. “Ce n’est pas la peine de nous le répéter”, déclara-t-il, “de toute façon, on ne vous croit plus !” Toute la salle l’applaudit bruyamment.

On ne peut rien faire pour nettoyer un marais envahi de pétrole
Même si elle ne servit à rien d’autre, cette réunion eut en tout cas un effet cathartique. Depuis plusieurs semaines, les habitants du coin étaient soumis à un feu roulant de promesses extravagantes en provenance de Washington, de Houston et de Londres. Chaque fois qu’ils allumaient leur télévision, c’était pour entendre Tony Hayward, le patron de BP, jurer solennellement qu’il “réparerait les dégâts”. Ou Obama faisant part de son absolue conviction que son gouvernement “remettrait la côte du golfe du Mexique en état”. Tout cela sonnait bien aux oreilles. Mais pour des gens qui sont mis en contact quotidien avec la délicate chimie des zones humides, cela avait aussi un côté absurde. On peut écoper le pétrole flottant à la surface de la mer, on peut le ratisser sur les plages, mais on ne peut rien faire pour nettoyer un marais envahi de pétrole, à part le laisser mourir. Les larves d’innombrables espèces pour lesquelles les marais sont des aires de reproduction – crevettes, crabes, huîtres et poissons – seront empoisonnées.

Et puis il y a les roseaux. Si le pétrole s’enfonce dans les marais, il ne tuera pas seulement la végétation au niveau du sol, mais aussi les racines. Or ce sont ces racines qui assurent la cohérence des marais en empêchant la terre de s’effondrer dans le delta du Mississippi et le golfe du Mexique. Des endroits comme Plaquemines Parish risquent donc non seulement de perdre leurs lieux de pêche, mais également une bonne partie des barrières physiques qui atténuent la violence des ouragans comme Katrina. Combien de temps faut-il pour qu’un écosystème à ce point ravagé soit “restauré à l’identique”, comme s’y est engagé le ministre de l’Intérieur d’Obama ?

Les zones côtières seront défigurées pour longtemps
Nous savons en tout cas une chose : loin d’être rendue à son état originel, la côte du golfe du Mexique sera, selon toute probabilité, défigurée pour longtemps. Ses eaux poissonneuses et son ciel sillonné d’oiseaux seront moins vivants qu’aujourd’hui. L’espace qu’occupent de nombreuses communautés sera amputé par l’érosion. Et la culture locale dépérira. Parce que, tout le long de cette côte, les habitants ne se rassemblent pas seulement autour de la pêche. Ils entretiennent un réseau complexe de liens qui incluent les traditions familiales, la cuisine, la musique, l’art et quelques langues en voie d’extinction – et ce réseau agit à la manière des racines qui assurent l’intégrité de la couche terreuse des marais. Sans la pêche, ces cultures uniques perdent leur système radiculaire, le terreau même où elles se développent.

Si l’ouragan Katrina a mis à nu la réalité du racisme, le désastre BP met à nu quelque chose de beaucoup plus profondément occulté: le peu de contrôle que nous exerçons sur les terribles forces naturelles interconnectées avec lesquelles nous jouons avec une telle insouciance. BP n’est pas capable de reboucher le trou qu’il a fait dans la Terre. Obama ne peut pas ordonner au pélican brun de ne pas disparaître. Aucune somme d’argent – pas même les 20 milliards de dollars que BP s’est engagé à mettre sur un compte sous séquestre, pas même 100 milliards de dollars – ne peut remplacer une culture qui a perdu ses racines.

Cette crise environnementale touche à de nombreux problèmes : la corruption, la dérégulation, l’addiction aux combustibles fossiles. Mais au-delà, elle remet en question la dangereuse attitude de notre culture qui prétend avoir une telle compréhension de la nature et un tel contrôle sur elle qu’ils nous autorisent à la manipuler et à la remodeler radicalement en ne faisant peser qu’un risque minimum sur les systèmes naturels qui assurent notre subsistance. Comme l’a révélé le désastre BP, la nature n’est jamais aussi prévisible que le laissent imaginer les modèles mathématiques et géologiques les plus sophistiqués. “Les meilleurs esprits et la meilleure expertise ont été réunis” pour résoudre la crise, a déclaré le patron de BP, Tony Hayward, lors de sa récente audition devant le Congrès, “à l’exception du programme spatial des années 1960, jamais une équipe plus compétente et plus efficace techniquement n’a été mise en place.” Et pourtant, ces spécialistes sont comme la brochette de personnalités alignées sur la scène du gymnase de Louisiane: ils font comme s’ils savaient, alors qu’ils ne savent rien.

Comme tout le monde a pu s’en rendre compte après l’explosion de la plate-forme Deepwater Horizon, BP n’avait prévu aucune réponse efficace en cas d’accident. Quand on lui a demandé pourquoi sa compagnie n’avait même pas pris la peine d’entreposer à terre un dôme de confinement, Steve Rinehart, porte-parole de BP, a répondu: “Je pense que personne n’avait prévu la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui.” Ce refus d’anticiper un échec est sans conteste venu d’en haut. Il y a un an, Hayward déclarait à un groupe d’étudiants de Harvard qu’il avait sur son bureau une plaque portant l’inscription: “Si vous étiez certain de ne pas échouer, que tenteriez-vous ?” Loin d’être une simple devise, la phrase décrit précisément la façon dont BP et ses concurrents se comportent dans le monde réel. Lors des récentes auditions devant le Congrès, le député démocrate du Massachusetts Ed Markey a questionné les représentants des grandes compagnies pétrolières et gazières sur la façon dont elles avaient réparti leurs budgets. Sur trois ans, elles ont dépensé “39 milliards de dollars dans la prospection de nouveaux gisements, alors qu’elles n’ont alloué que 20 millions de dollars à la recherche sur les questions de sécurité, de prévention des accidents et de gestion des pollutions de grande ampleur”.

Le “dossier initial d’exploration” que BP a soumis au gouvernement avant le forage de Deepwater Horizon se lit comme une tragédie grecque sur l’arrogance humaine. Même en cas de marée noire, peut-on y lire, les dégâts environnementaux seront minimes. Présentant la nature comme un partenaire (voire un sous-traitant) prévisible et consentant, le rapport explique qu’en cas de pollution accidentelle “les courants et la dégradation microbienne élimineraient le pétrole de la colonne d’eau et dilueraient ses composants à des taux insignifiants”. Les effets sur la faune, d’autre part, “ne seraient pas mortels” en raison de “la capacité des poissons et des crustacés adultes à éviter les nappes de pollution et à métaboliser les hydrocarbures”.

Plus fort encore, en cas d’accident, il y aurait probablement “un risque très faible d’impact sur le littoral” du fait de la réaction rapide prévue par la compagnie et de “la distance séparant la plate-forme du rivage” – environ 70 kilomètres. Il s’agit là de la déclaration la plus stupéfiante du rapport. Dans un golfe fréquemment balayé par des vents soufflant à plus de 60 km/h, et sans parler des ouragans, BP a si peu tenu compte de la puissance de la houle et des coups de vent que l’on n’a même pas songé qu’une nappe de pétrole puisse dériver sur 70 kilomètres. (Mi-juin, un débris provenant de la plate-forme Deepwater Horizon a été retrouvé sur une plage de Floride, à près de 300 kilomètres du lieu de l’explosion.) Une négligence aussi éhontée n’aurait cependant pas été tolérée si BP n’avait pas fait part de ses prévisions à une classe politique avide de croire que la nature est désormais totalement maîtrisée. Forer sans la moindre réflexion préalable a été la politique adoptée par le Parti républicain à partir de mai 2008. Alors que le prix de l’essence atteignait des sommets, le leader conservateur Newt Gingrich lança le slogan: “Drill Here, Drill Now, Pay Less” [Forons ici, forons aujourd’hui même, faisons des économies].

Immensément populaire, la campagne en faveur des forages jeta aux orties prudence, études préalables et action mesurée. Dans l’esprit de Gingrich, forer partout où l’on pouvait espérer trouver du pétrole ou du gaz était un moyen infaillible pour tout à la fois faire baisser le prix des carburants à la pompe, créer des emplois et donner un coup de pied au cul aux Arabes. Face à ces trois nobles objectifs, il fallait n’être qu’une chochotte pour se préoccuper d’environnement. Obama a donné dans le panneau. Trois semaines avant l’explosion de la plate-forme Deepwater Horizon, il a annoncé qu’il autoriserait les forages off-shore dans certaines zones protégées du littoral américain.

“L’océan est vaste : il surmontera ça”
, a claironné le patron de BP
L’océan est vaste : il surmontera ça, claironnait Hayward durant les premiers jours de la catastrophe pendant que John Curry, porte-parole de BP, affirmait avec aplomb que les microbes dévoreraient la totalité du pétrole présent dans l’eau de mer, car la nature, disait-il, “est toute prête à apporter son aide à la résolution du problème”. Or la nature n’a pas joué le jeu. Le puits jaillissant de l’océan a emporté tous les obturateurs, dômes de confinement et autres systèmes d’injection mis en œuvre par BP. Les vents et les courants marins se sont joués des dérisoires barrages flottants déployés pour tenter d’absorber le pétrole. “Nous les avions prévenus”, raconte Byron Encalade, président de l’Association des ostréiculteurs de Louisiane. “Le pétrole va passer par-dessus les barrages ou s’infiltrer par-dessous.” Et c’est exactement ce qui est arrivé. Le biologiste marin Rick Steiner, qui suit de près les opérations de nettoyage, estime que “70 à 80 % des barrages déployés ne servent absolument à rien”.

Enfin, il y a la question controversée des dispersants chimiques : près de 4 millions de litres de ces produits ont été déversés par BP dans l’océan, avec sa désinvolture coutumière. Or très peu de tests ont été effectués et l’on ne sait absolument pas ce que cette quantité sans précédent de pétrole dilué dans l’eau va provoquer sur la faune marine.

Une profonde blessure infligée à un organisme vivant
Heureusement, beaucoup d’autres tirent une leçon différente de la catastrophe, qu’ils voient comme la preuve de notre impuissance à maîtriser les formidables forces naturelles que nous libérons. Il y a également autre chose: le sentiment que le trou au fond de la mer est plus qu’un simple accident d’ingénierie. C’est une profonde blessure infligée à un organisme vivant.

C’est sans doute le rebondissement le plus surprenant de la saga de la côte du golfe du Mexique. Il semble que ce désastre nous ouvre les yeux sur une réalité: la Terre n’a jamais été une machine. Suivre le cheminement du pétrole dans l’écosystème constitue une excellente introduction à l’écologie globale. Chaque jour, nous prenons un peu plus conscience que tel problème terrible survenant dans une région du monde se répercute selon des chemins que la plupart d’entre nous n’auraient jamais imaginés. Nous apprenons que les pêcheurs de l’île du Prince-Edouard, au Canada, s’inquiètent parce que le thon rouge de l’Atlantique qu’ils pêchent se reproduit à des milliers de kilomètres plus au sud, dans les eaux souillées de pétrole du golfe du Mexique. Et nous découvrons aussi que, pour les oiseaux, les zones humides de la côte du golfe du Mexique sont un gigantesque aéroport: 75 % de tous les oiseaux aquatiques migrateurs des Etats-Unis y font escale.

C’est une chose de s’entendre expliquer qu’un papillon battant des ailes au Brésil peut provoquer une tornade au Texas. C’en est une autre que de voir la théorie du chaos se concrétiser sous vos yeux. L’universitaire et écoféministe Carolyn Merchant formule de la façon suivante la grande leçon à tirer de ce désastre: “Le problème, comme l’a tragiquement et tardivement découvert BP, est qu’en tant que force active la nature ne peut être confinée.” La conséquence la plus positive de cette catastrophe serait non seulement une accélération du développement des sources d’énergie renouvelables comme l’éolien, mais aussi une adhésion systématique au principe de précaution scientifique. Exact contraire du credo “si vous étiez persuadé de ne pas échouer” cher à Hayward, le principe de précaution établit que “lorsqu’une activité comporte des risques pour l’environnement ou la santé humaine”, nous devons procéder avec prudence, comme si l’échec était possible et même probable. Peut-être pourrions-nous offrir au patron de BP une nouvelle plaque pour orner son bureau lorsqu’il signera les chèques de compensation aux victimes de la marée noire: “Vous faites comme si vous saviez, mais en fait vous ne savez rien.”

Naomi Klein
22.07.10
Née à Montréal en 1970, la journaliste Naomi Klein s’est imposée comme une figure du mouvement altermondialiste avec son livre No Logo, en 2001 et La stratégie du choc, en 2008. Elle collabore régulièrement à de grands titres de la presse anglo-saxonne tels que The New York Times.
Source: courrier international

dimanche 25 juillet 2010

Pour tenter de démêler le faux du vrai tout en soulignant que tout se tient... cet article fouillé, un peu long, mais édifiant!



La guerre d’Iran aura-t-elle lieu ?

L’accord tripartite de Téhéran sur le nucléaire iranien provoquera-t-il le conflit au lieu de résoudre la crise? C’est ce que pense Jean-Michel Vernochet pour qui, les États-Unis n’ayant plus d’arguments pour justifier leurs sanctions contre l’Iran pourraient être tentés d’en finir en passant à l’acte. Bien sûr, la guerre ne doit pas nécessairement être entreprise contre Téhéran, elle peut aussi éclater à sa marge pour l’y précipiter.



La guerre contre l’Iran aura-t-elle lieu ? Inutile de jouer les Cassandre, la réponse à cette question devant nous être donnée par les événements eux-mêmes. Par contre peut-être n’est-il pas vain de s’intéresser au rapport des forces en présence dans leur dynamique d’évolution. Nous parlons ici essentiellement de rapports de forces politiques tant la question semble réglée d’avance en ce qui concerne le différentiel de forces militaires en cas de confrontation directe entre Washington, Tel-Aviv… et Téhéran.

En effet, la disproportion entre le potentiel militaire de coercition des uns et celui des autres ne prête à aucune équivoque. De ce point de vue, ce sont exclusivement des paramètres de nature «politiques» qui déterminent avant tout, encore aujourd’hui, le gouvernement iranien à ne pas céder aux injonctions de la «Communauté internationale». Aussi parce que Téhéran considère qu’il est loin d’avoir «épuisé» la carte de l’accord tripartite turco-irano-brésilien [1]. Celui-ci pouvant, le cas échéant, lui offrir une issue raisonnable (voire «honorable», ne pas perdre la face en Orient étant un souci premier). Rendez-vous est à ce propos pris avec Brasilia et Ankara pour la fin août…

Reste que le succès de cette entreprise de contournement de la diplomatie états-unienne est loin d’être assurée au vu des réactions violemment négatives des Anglo-Américains (voir infra). Surtout que, lorsqu’on parle de «négociation» avec Téhéran, encore faut-il bien entendre que l’on attend du gouvernement iranien une reddition sans condition. En contrepartie, Téhéran fera tout, et jusqu’au bout, pour éviter de passer sous les Fourches caudines comme le département d’État l’y convie avec une pressante insistance.

Mais de ce point de vue, tout n’est pas dit. D’abord parce que l’Iran se sait, en principe, totalement vulnérable «à une attaque instantanée et non détectable, écrasante et dévastatrice, sans possibilité de défense et sans capacité réelle d’exercer des représailles dissuasives» [2]; ensuite parce que la Turquie trouverait dans l’aboutissement réussi de l’accord de Téhéran un moyen de s’affirmer sur la scène régionale tout en rendant la monnaie de sa pièce à Tel-Aviv après l’humiliation de l’épisode sanglant de la flottille humanitaire pour Gaza.

A contrario, d’autres facteurs ne plaident pas en faveur d’un règlement négocié par le truchement de la Turquie et du Brésil associés dans le sauvetage de l’Iran national-islamiste [3]. Russes et Chinois pratiquant, volens nolens, un jeu de bascule diplomatique, ont voté le 9 juin la Résolution 1929 du Conseil de Sécurité des Nations Unies durcissant le régime des sanctions internationales imposées à l’Iran [4]. Résolution qui surtout a donné caution au Congrès états-unien, puis à l’Union européenne – Bruxelles devant faire connaître son propre train de sanctions vers la fin du mois de juillet – pour prendre en concertation des mesures draconiennes à l’encontre de la République islamique, notamment d’ordre économique (voir infra).

En ce qui concerne Moscou, cette décision semble bien refléter une certaine «schizophrénie» au sommet de l’État ou un bicéphalisme ouvertement divergent entre une Présidence a priori plus «occidentaliste» que ne le serait le Premier ministre Vladimir Poutine. Cela se traduit à la fois par un ralliement âprement négocié à la politique de sanctions états-uniennes et européennes, et simultanément par des «consultations» irano-russes portant sur le renforcement de la coopération bilatérale; certes «en premier lieu économique» comme l’a souligné récemment le vice-ministre des Affaires étrangères russe, Alexeï Borodavkine… ou encore le maintien d’une complète ambigüité quant aux livraisons de batteries de missiles hypersoniques anti-aériens S300 (voir infra).

*   *   *

Examinons maintenant quelques unes des raisons qui sont vraisemblablement intervenues Moscou pour décider le Kremlin à voter en faveur de la Résolution 1929, le 9 juin 2010, moins d’un mois après avoir applaudi à la conclusion de l’accord tripartite.

Passons sur la nécessité impérieuse, pour la Fédération de Russie, d’une réduction de la production afghane d’opium (dont les produits dérivés occasionnent quelque 30 000 décès annuels en Russie), et notons, par une heureuse coïncidence, la levée des sanctions états-uniennes contre quatre groupes russes réputés avoir commercé de façon «illégale» avec l’Iran et la Syrie après 1999.

Selon le Washington Post du 22 mai 2010, l’administration Obama – trois jours après l’annonce par la Secrétaire d’État, Mme Hillary Clinton, que la Russie acceptait d’avaliser le projet de résolution – abandonnait ses «poursuites» contre Rosoboronexport épinglé en 2006 et 2008 pour des ventes illicites à l’Iran; également concerné l’Institut moscovite d’avionique, ainsi que l’université des sciences et techniques de la chimie Dimitri Mendeleyev pour transferts illégaux de techniques relatives au domaine balistique. Depuis janvier 2010, l’Administration Obama a su apparemment donner des gages substantiels et avait déjà opéré la levée préalable des sanctions frappant Glavkosmos et l’Université technologique de la Baltique pour leurs échanges avec l’Iran…

Mais pour qu’un marchandage soit complet, il faut aussi que certaines portes restent entrouvertes, ainsi l’Administration Obama, dans la formulation de son projet de résolution, a su maintenir un flou artistique quant à l’interdiction de le vente de systèmes de missiles hypersoniques sol-air russes S300 à l’Iran. Un marché représentant plusieurs centaines de millions de dollars, vraisemblablement en partie déjà payés, mais dont les livraisons ont été jusqu’à présent ajournées pour des «raisons techniques» sous la pression conjointe américano-israélienne. Passé en 2005 ce contrat concerne 30 à 40 systèmes d’armes (dont un aurait peut-être été livré en 2008), des matériels ayant la capacité de rendre l’Iran en grande partie imperméable à d’éventuelles frappes israélo-américaines… sachant que dix systèmes seulement suffiraient théoriquement à assurer la couverture des sites stratégiques perses, et ce, notamment contre une aviation israélienne aux performances limitées par une relative vétusté...

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À l’incartade turco-brésilienne, Washington avait aussitôt répondu en ignorant superbement l’accord tripartite signé la veille du dépôt de son propre projet de sanctions renforcées devant le Conseil de Sécurité. Un camouflet pour la Turquie et le Brésil remis à leur «juste» place dans le concert des Nations, dont le président des États-Unis monopolise le pupitre de chef d’orchestre. Des «signaux forts» ayant été envoyés à Ankara [5], il convenait de présenter à la Turquie une «carotte» assez appétissante pour l’inciter à regagner le giron atlantiste et suffisante pour lui faire oublier ses velléités de jeu personnel dans l’arène régionale, de la Méditerranée orientale à la Caspienne via la Mer noire. Tant et si bien que, le 30 juin, l’Union européenne relançait les négociations d’adhésion de la Turquie en ouvrant à Bruxelles un nouveau chapitre relatif à la sécurité alimentaire, vétérinaire et phytosanitaire (le treizième depuis l’ouverture des négociations d’adhésion en 2004 sur les 35 prévus afin d’adapter la législation des candidats aux normes européennes)…

À l’évidence l’UE, dans le cadre du smart power [6] préconisé à Washington (une étroite association de produits d’appels et de contraintes) avait été mandatée afin de «récupérer» Ankara. Le secrétaire états-unien à la Défense, M. Robert Gates n’avait-il pas en effet dénoncé un peu auparavant "ceux qui en Europe poussent la Turquie vers l’Est en refusant de lui donner le lien organique avec l’Occident qu’elle recherche". Autrement dit son entrée dans une Union pourtant déjà incapable de se gérer à vingt-sept ! Autre coïncidence ou hasard calendaire, toujours le 30 juin 2010, la discrète rencontre ministérielle à Bruxelles entre représentants turcs et israéliens au moment même où Ankara demandait à Washington moins de laxisme à l’égard de la rébellion armée du PKK [7].

Parallèlement, le 24 juin, à la suite des sanctions adoptées par le Conseil de sécurité, le Congrès états-unien avait validé le durcissement la politique US à l’encontre de l’Iran en votant un nouveau train de mesures coercitives, mesures adoptées à l’unanimité par le Sénat (99 pour, 0 contre)… Le chef de la majorité démocrate de la chambre haute Harry Reid résumant l’état d’esprit des parlementaires: "Notre objectif est de viser l’Iran là où cela fait le plus mal"!

En l’occurrence il s’agit de créer une pénurie énergétique (mortelle à terme) en interdisant toute entrée de produits pétroliers raffinés ou tout équipement destiné à rendre à l’Iran une quelconque capacité de raffinage. Quatrième producteur mondial de pétrole brut, l’Iran manque cependant de raffineries, certaines ayant d’ailleurs fait l’objet d’attentats ces dernières années [8] et de fait, dépend fortement de ses importations pour la satisfaction de ses besoins intérieurs, importés à quelque 40%. Remarquons ici que la Résolution du Conseil de Sécurité (votée à l’unanimité des cinq membres permanents, Turquie et Brésil ayant voté contre et le Liban s’étant abstenu) n’a eu pour objet que de servir de cache-sexe, autrement dit de cautionner les mesures autrement plus sévères prises par les États-Unis et prochainement par l’UE.

Le républicain John McCain, concurrent de Barak Obama à la présidence, avait pour sa part clairement explicité la portée d’un texte dont le but est de «forcer les entreprises partout dans le monde à faire un choix: voulez-vous travailler avec l’Iran, ou bien voulez-vous travailler avec les Etats-Unis? Les deux ne sont pas compatibles», énonçant de cette façon que les rigueurs du Nouvel Ordre Mondial ne s’adressent pas seulement aux récalcitrants arcboutés sur l’État-nation, fût-il islamique, mais à tous ceux qui se refusent à passer sous les fourches caudines du Marché unique universel dont le chef d’orchestre est, évidemment, anglo-américain. C’était déjà la teneur du message envoyé au monde par le président Bush au lendemain du 11 Septembre «ceux qui ne sont pas avec nous, seront contre nous»…

Un message reçu cinq sur cinq à Bruxelles et anticipé par quelques géants européens tels l’allemand Siemens ou le français Total [9], contraints et forcés l’un et l’autre en vertu de choix politiques. Une fois n’est pas coutume, le politique ayant pris le pas dans ce cas sur des intérêts économiques quasiment vitaux en période de récession.

En janvier 2010, Siemens officialisait la rupture – imposée par Mme Merkel – de ses liens commerciaux avec la République islamique d’Iran tout en honorant les commandes en cours… une décision en réalité déjà effective depuis octobre 2009. Fin janvier, la chancelière allemande pouvait annoncer que l’Allemagne s’associerait pleinement à de nouvelles sanctions «dans tous les secteurs concernés». Sachant que les sociétés allemandes avaient exporté vers l’Iran pour environ 3,3 milliards d’euros dans les premiers 11 mois de l’année 2009 (la part Siemens se montant alors à quelque 500 millions d’euros annuels) on voit ici qu’elle est l’ampleur du sacrifice consenti par l’industrie allemande pour se mettre en conformité avec les engagements transatlantiques européens. Résultat, la position strictement atlantiste de Mme Merkel au détriment des intérêts immédiats de l’économie allemande, a beaucoup contribué à l’affaiblissement de son crédit politique aujourd’hui déclinant.

Quant au pétrolier français Total, agissant également à rebours des intérêts nationaux et sur injonction directe de la présidence, a officialisé le 28 juin la cessation de ses livraisons d’hydrocarbures à l’Iran rejoignant de cette manière ses consœurs British Petroleum et Royal Dutch Shell dans la cohorte des compagnies pétrolières boycottant l’Iran. Une déclaration de pure forme car la suspension effective, sine die avait commencé depuis plusieurs semaines avant même le vote de la Résolution 1929et des oukases du Congrès… lesquels faisaient aboutir le projet de loi d’avril 2009 instituant des sanctions contre les compagnies fournisseuses de carburants à l’Iran, au premier chef, Total et British Petroleum. À ce titre, nul n’a été surpris de voir la décision de renoncer au marché iranien du groupe français annoncée d’abord sur le site du Financial Times et ce, avant toute déclaration en France même.

Last but not least, depuis juin dernier, l’UE avait commencé d’interdire son espace aérien à la majorité des appareils Airbus et Boeing de la compagnie Iran Air. Un mois plus tard, Bruxelles ajoutait à sa liste d’interdiction les Airbus A-320, les Boeing B‑727 et B-747. Simultanément, le Royaume-Uni et l’Allemagne, à l’instar des Émirats arabes unis [10], eu égard aux sanctions tant états-uniennes qu’européennes, refusaient tout ravitaillements en kérosène aux avions civils iraniens en dépit d’une évidente violation des conventions internationales pertinentes.

Guerre de communiqués et gesticulations militaires
Aux mesures de confinement économique et financier (la plus part des transactions financières de l’Iran ayant été rendues impossibles hors de ses frontières) viennent s’ajouter d’autres mesures, actives celles-là (mesures actives terme désignant à l’origine les opérations de désinformation ne visant pas seulement les élites dirigeantes mais visant plus largement au conditionnement et à la manipulation des opinions publiques). Ces actions s’inscrivent dans le cadre d’une guerre psychologique qui ne dit pas non nom mais qu’a dénoncée à bon escient le gouvernement iranien le 28 juin 2010 alors que le Directeur de la Central Intelligence Service, Leon Panetta, estimait péremptoirement sur la chaîne ABC que «Téhéran dispose maintenant de suffisamment d’uranium enrichi pour la confection de deux armes nucléaires dans un délais de deux ans».

Verdict qui tombe après que l’Agence Guysen International News eut diffusé le 24 juin une information donnée pour être d’origine iranienne (!) suivant laquelle «… des avions israéliens auraient atterris sur l’aéroport saoudien de Tabouk les 18 et 19 juin dernier…C’est ce qu’a rapporté l’agence iranienne FARS dans un article intitulé “Activité militaire douteuse du régime sioniste en Arabie Saoudite“». Rumeur reprise ensuite par le Times de Londres qui n’hésite pas à annoncer que l’Arabie Saoudite aurait ouvert son espace aérien à l’aviation israélienne en prévision d’une attaque contre l’Iran, une information bien entendu non confirmée à Tel-Aviv et démentie par Riyad.

Difficile alors de faire la part entre rumeurs et faits avérés. Parmi les faits documentés relevant (ou non) de l’intoxication et de la guerre psychologique, signalons que pendant que l’État hébreu se livrait à des manœuvres d’envergure pour contrer une éventuelle attaque de son territoire par des missiles, les États-Unis complétaient leur dispositif offensif dans le Golfe et alentours [11].

Toujours dans le contexte d’une guerre par médias interposés, d’après le quotidien londonien Al-Qods Al-Arabi, information encore reprise par Guysen News, un convoi composé de 11 frégates états-uniennes et une israélienne, le tout accompagnant le porte-avions à propulsion nucléaire USS Harry S Truman, aurait transité par le Canal de Suez en direction la Mer Rouge. Enfin l’Iran aurait mis en état d’alerte ses forces proches de la Mer Caspienne en raison d’une «concentration de forces israélo-américaines en Azerbaïdjan»! C’est en tout cas ce qu’a déclaré le 22 juin 2010 le général Mehdi Moini commandant des Gardiens de la Révolution: «la mobilisation se justifie par la présence de forces américaines et israéliennes sur la frontière de l’Ouest… ces renforts sont dépêchés dans la province d’Azerbaïdjan occidental car certains pays occidentaux attisent des conflits ethniques afin de déstabiliser cette région». L’exécution le 20 juin 2010 d’Abdolmalek Rigi, chef du Jondallah, responsables de plusieurs attentats meurtriers contre les Gardien de la Révolution au Baloutchistan iranien est à ce titre un signal fort envoyé par les autorités iraniennes à l’attention de toutes les autres minorités susceptibles de fomenter des troubles dans une conjoncture s’inscrivant dans une inexorable stratégie de la tension.

C’est dans ce contexte que l’État hébreu aurait en effet, toujours selon la rumeur, prépositionné une flotte aérienne d’attaque en Azerbaïdjan. Là encore l’extrême prudence étant de rigueur, il faut noter l’inflation de rumeurs qui crée un climat propice à toute provocation ou tout accident accélérateur ou déclencheur d’une confrontation directe. En tout état de cause, l’utilisation de l’Azerbaïdjan comme base de lancement de raids aériens parait assez improbable si l’on considère l’actuel refroidissement des relations entre Bakou et Washington depuis avril, l’Azerbaïdjan ayant pris ombrage du rôle joué par le département d’État dans le conflit du Haut-Karabakh qui l’oppose à l’Arménie et annulé en conséquence des manœuvres militaires conjointes avec la marine des États-Unis…

Faisant d’ailleurs écho, le même jour, aux déclarations du commandant des Pasdaran, le 22 juin donc, le Dr Uzi Arad, chef du Conseil de Sécurité nationale israélien et proche conseiller du Premier ministre Benjamin Netanyahou, avait jeté sa part d’huile sur le feu en jugeant «le dernier volet des sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies, est insuffisant pour contrarier les progrès iraniens en matière de fabrication de l’arme nucléaire. Une intervention militaire préventive pourrait être finalement nécessaire». Aujourd’hui c’est au tour de la CIA par la voix de son directeur d’enfoncer le clou…

Alors gesticulations guerrières, guerre des mots et intoxication, ou préparation psychologique à ce que le camp belliciste s’acharne à présenter comme inéluctable: le recours à la force contre Téhéran? Toujours est-il que la guerre des nerfs fait rage dans cette partie de poker menteur à échelle planétaire à laquelle, bon gré malgré, nous sommes conviés à participer!

*   *   *

Nous ne conclurons pas ici sur les conséquences à terme du défi que la Turquie au premier chef, le Brésil ensuite, ont lancé aux États-Unis et à ses commensaux britannique et hébreu. De toute évidence la Turquie n’avait pas envisagé que les choses iraient si loin, ni la vigueur de la réaction anglo-israélo-américaine… Chacun a priori s’attache aujourd’hui, de part et d’autre, à calmer le jeu et à replacer le contentieux dans le cadre formel des échanges diplomatiques [12]. On a, de ce point de vue, cru voir s’amorcer ce retour à la normale avec l’entretien de Bruxelles entre ministres turc et israélien, la Turquie en demandant des excuses israéliennes, l’indemnisation des victimes après l’affaire du Mavi Marmara, le tout assorti d’une levée du blocus de Gaza. Il était loisible de penser que dans le contexte d’un désaccord affiché entre Washington et Tel-Aviv, la Turquie aurait dû obtenir, au moins partiellement, gain de cause: Tel-Aviv n’est-il pas déjà en train d’alléger le dispositif d’asphyxie de la bande de Gaza dont le but avoué était de pousser la population à se soulever contre le gouvernement élu du Hamas?

Un embargo qui s’est avéré être non seulement erroné mais, qui plus est, est devenu totalement contreproductif… Et bien contre toute attente Ankara s’est vu opposer un refus cassant et intransigeant à sa demande d’excuse, qui aurait pu être simplement «formelle». Immédiatement après, ce nouveau camouflet: la Maison-Blanche, accueillant à bras ouverts le Premier ministre israélien, M. Benyamin Netanyahou, a offert au monde le spectacle d’une réconciliation d’assez mauvaise augure en ce qu’elle cautionne contre vents et marées la politique de la coalition dominée par le Likoud ultrasioniste au pouvoir à Tel-Aviv.

Des démonstrations d’amitiés qui suivent de peu le limogeage du général McChrystal, chef des forces états-uniennes et de l’Otan en Afghanistan, pour des propos malvenus d’après boire et son remplacement par le général David Petraeus [13] déjà chargé du commandement central [United States Central Command] du front allant de la Mésopotamie au Waziristan (Zones tribales du Pakistan).

La démarche turco-brésilienne a par conséquent certainement procédé d’une mauvaise évaluation du rapport de forces réel existant toujours entre les États-Unis – maîtres du jeu planétaire jusqu’à plus ample informé – et le reste du monde, malgré le fait incontestable que ce jeu se complexifie et se diversifie davantage avec l’arrivée, sur la scène internationale, de puissances montantes qui à leur tour revendiquent une place à la table des «Grands».

La punition militaro-diplomatique n’ayant pas tardé sous forme d’un «acte de guerre» perpétré en haute mer (et en toute impunité), les mesures de rétorsions économiques et commerciales ne devraient pas se faire attendre très longtemps. Prenons l’exemple de la France qui, après 2003 et sa sortie au Conseil de Sécurité (intolérable du point de vue des partisans de l’annihilation de l’Irak), a souffert de la vindicte états-unienne au point d’amorcer dès 2004 son retour dans le giron Atlantique [14].

En résumé, l’initiative tripartite, opération éminemment louable du point de vu de la paix entre les nations, se sera révélée au final assez désastreuse parce ce que non seulement elle n’a pas permis de squeezer les États-Unis, mais qu’elle leur a offert la possibilité de déplacer leurs pions plus vite que prévu sur le grand échiquier eurasiatique. Pire, l’initiative tripartite a fourni le prétexte et l’occasion aux États-Unis de faire preuve de cette capacité de «rebond», cette «ressource» qu’exalte au plus haut degré la culture du Nouveau Monde. De plus, elle a, d’une certaine façon, précipité les «événements» en créant l’urgence et en entamant la marge de manœuvre des Anglo-Américains jusqu’à les pousser, peu ou prou, au passage à l’acte dans un processus de diplomatie armée qui va crescendo.

Alors quelles leçons tirer de cet accord turco-irano-brésilien qui a suscité le fugace espoir de voir s’engager une amorce de stabilisation régionale? En premier lieu que le rapport du fort au faible n’offre que peu d’échappatoires. La Fontaine nous l’a autrefois enseigné: la rhétorique du «loup» ne tient aucun compte ni de la raison, ni du Droit, a fortiori du droit international, ni de la justice… Que le discours du «fort» subvertit en soi les valeurs en principe fondatrices des relations entre les individus d’abord, entre les sociétés ensuite.

Nous avons là une sophistique consensuelle donnant une apparence de rationalité légaliste à l’expression de l’imperium hégémonique, verbalisme de chancellerie qui n’est au demeurant qu’une transposition du dialogue au bord du ruisseau des deux animaux de la fable. L’Iran est pareillement un coupable sui generis et doit par conséquent se soumettre inconditionnellement. S’il ne s’y résigne pas de son propre gré, il sera ramené de gré ou de force dans le droit chemin démocratique et libéral. Ce cas de figure n’est pas nouveau et les historiens, s’ils cherchent un peu, trouveront de multiples précédents au cours du XXè siècle.

Nous voyons donc ici, à la croisée des chemins, à quel point, au XXIè siècle, la ruse, enveloppée du brouillard verbal propre au smart power prime sur l’immédiat exercice de la force brutale, mais qu’elle l’annonce cependant tout comme la nuée porte l’orage. À ce titre les «prophéties» du Líder Máximo cubain, quelqu’atteint par l’âge qu’il soit, renvoie étonnamment aux avertissements prodigués par la présidence russe.

La guerre, si elle devait avoir lieu, n’aurait à ce titre pas grand chose à voir avec une quelconque fatalité plus ou moins inhérente à de supposées lois physiques de la nature géopolitique du monde. Elle interviendrait pour la simple et unique raison que des factions influentes d’ultras, à Washington, à Londres et à Tel-Aviv, la veulent assidûment et la préparent avec ardeur et que ces mêmes factions auront fini par l’emporter sur les clans et les hommes hostiles à l’affrontement entre forces matérielles.

Bien des naïfs, croyaient en décembre 1990 que la guerre du Koweït serait évitée parce que des négociations allaient bon train entre Bagdad et Riyad; parce qu’également le raïs Saddam Hussein avait offert de se retirer si un certain délais lui était accordé lui permettant de «sauver la face». La guerre a eu lieu. Elle a eu lieu pour l’unique raison que l’«on» voulait qu’elle eût lieu. Or la situation d’aujourd’hui offre de nombreuses similitudes avec celle de décembre 1990. Il ne manque plus au tableau qu’un prétexte plausible, une provocation intervenant n’importe où dans le monde mais suffisamment spectacularisable pour frapper les opinions de sidération, cela, le temps nécessaire à lancer les premières frappes qui tétaniseront les oppositions en les prenant de court et enclencheront automatiquement l’escalade militaire.

Conflit qui serait sans doute appelé à déborder rapidement hors du cadre régional comme l’en a averti le président russe, Dimitri Medvedev. Un conflit qui alors pourrait constituer une opportune porte de sortie à la crise systémique globale qui, aujourd’hui, commence à menacer le statut d’idole du divin dollar [15]: la guerre n’est-elle pas «le» moyen de régulation par excellence?

Plus grave, nous devons nous garder, aujourd’hui plus que jamais, d’une appréciation fausse du rapport de force global qui est toujours en faveur des États-Unis comme nous en administre la preuve le ralliement volens nolens de la Russie et de la Chine au durcissement des sanctions. Une attitude analogue à celles de ces navires qui fuient sous le vent pour tenter d’échapper à la tempête… pour l’immédiat, les deux challengers eurasiatiques des États-Unis se trouvent littéralement aspirés par la volonté américaine de liquidation du régime iranien et d’inclusion dans sa sphère d’influence de tout l’espace géoécopolitique des Balkans à l’Hindou Koush.

Les États-Unis - John Pitbull - n’en démordront pas, chacun doit se persuader que la chute du régime iranien n’est plus du domaine du négociable. Russes et Chinois le savent et leur comportement démontre qu’ils ne disposent pas de la monnaie d’échange susceptible d’infléchir le projet états-unien. Une ambition dont le succès à terme n’est d’ailleurs pas assuré comme les échecs des révolutions colorées géorgienne et ukrainienne en témoignent.

De sorte que Moscou et Pékin peuvent tout au plus jouer le rôle de ralentisseurs d’un processus qu’ils savent, sauf accident de parcours, inéluctable. Finalement l’épisode de l’initiative tripartite aura eu le vrai mérite de mettre les choses au point et de nous donner un cliché exact de l’état des lieux géostratégiques, c’est-à-dire en montrant le caractère (provisoirement) illusoire d’un rééquilibrage des pouvoirs dans un monde encore assez éloigné de la multipolarité.

Ce constat contredit finalement – en dépit des différents conflits qui déchirent le Proche-Orient ces deux dernières décennies – l’idée que nous assisterions tendanciellement à un déclin de l’expansionnisme états-unien en dépit de deux fronts et de deux enlisements, l’irakien et l’afghan… tout aussi bien que par les conséquences économiques et sociales d’une crise financière que Washington est pourtant encore loin d’avoir complètement surmonté.

À cet égard, écartons définitivement l’idée – laquelle ressort de la méthode Coué, c’est-à-dire de l’autosuggestion – qu’en raison de ses difficultés budgétaires, l’État fédéral états-unien n’aurait plus la capacité d’aller au bout de ses intentions belliqueuses. Une idée controuvée à l’heure de la guerre des drones de combat et des missiles de croisières hypersoniques à portée intercontinentale.

Au contraire ce sont ces difficultés mêmes et les menaces que font peser sur la suprématie du dollar les actuelles défaillances structurelles du système hypercapitaliste ultralibéral qui pourraient le cas échéant contraindre l’État fédéral à une fuite en avant, comme ce fut le cas dans les années ayant précédé la Seconde Guerre mondiale. Mais à la différence du temps du président Roosevelt, dont les intentions véritables étaient masquées par un discours et des dispositions à caractères pacifistes (embargo sur les armes à destination de l’Europe), les discours du président Obama se situent aujourd’hui en contradiction avec les faits les plus patents et, de facto, ne parviennent plus guère à donner le change.

Enfin, last but not least, à l’appréciation erronée du poids relatif sur la scène internationale des «émergents» et de leur potentiel en matière de bargaining power (car il est nous est interdit de prendre nos désirs géopolitiques pour des réalités géostratégiques!) vient se surajouter une confiance excessive des dirigeants iraniens dans leur capacité à dissuader les israélo-anglo-américains de procéder à des frappes préventives… Ceux-ci seraient arrêtés dans leur élan guerrier par la crainte supposée d’un prix à payer trop élevé: les dirigeants iraniens croient en effet que l’importance des pertes qui seraient induites chez l’agresseur lui rendent le coût du passage à l’acte tout à fait rédhibitoire…

Quant aux mesures que prendrait l’Iran en cas de frappes préventives, elles sont déjà parties prenantes du script des opérations. Qu’une salve de missiles de croisière, avec ou sans tête nucléaire, tirée depuis les sous-marins vendus à l’État hébreu par l’Allemagne social-démocrate, touchent des centres vitaux iraniens, que la réplique en représailles de Téhéran sur des bases ou des navires états-uniens détermine des pertes significatives dans le corps expéditionnaire coalisé (du même ordre que lors de l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941, laquelle fit 2403 victimes, seuil psychologique comparable à celui atteint avec les destructions des Tours jumelles, préalable à l’assaut lancé contre le bastion afghan), la presse occidentale se déchaînera muselant une opinion publique tétanisée comme elle l’a été le 11 septembre 2001, nous entrerons alors dans l’engrenage infernal de la guerre sans limites engagée par le président George Walker Bush contre les «ennemis» de l’Amérique.

Nous n’aborderons pas ici, l’hypothèse vraisemblable, de l’ouverture préalable d’un premier front au Liban, voire en Syrie alliée de l’Iran, afin de réduire la pression exercée par les tirs de missiles du Hezbollah sur le nord d’Israël… Sans oublier le scénario de basse intensité comportant la fermeture du détroit d’Ormuz… mais à y regarder de plus près, celle-ci ne ferait que retarder l’échéance d’une campagne (déjà planifiée) de frappes massives destinées à donner toutes ses chances aux forces intérieures œuvrant au renversement du régime. Le scénario «Ormuz» devant se révéler tout aussi impuissant à dissuader les attaquants potentiels… L’artère jugulaire d’Ormuz par laquelle transitent près de 30 % de la production mondiale des hydrocarbures nécessaires à faire tourner le moteur planétaire, fermée, un baril qui bondirait à 300 $ serait d’ailleurs une aubaine inespérée pour les Majors, le cartel des grandes Compagnies pétrolières, qui pourraient dès lors se lancer dans l’exploitation à haut coût des schistes et des sables bitumineux du Groenland et d’ailleurs ou se lancer dans d’aventureuses campagnes de forages en eaux profondes comme dans le golfe du Mexique et avec le «succès» que l’on sait.

Sauf par conséquent à ce que l’initiative tripartite ne soit reprise par une large coalition conduite par la Russie et la Chine, ce qui semble peu probable dans la conjoncture présente, le scénario du pire, sous les deux versions qui viennent d’être évoqués – frappes préventives, représailles, fermeture d’Ormuz – est en fait de plus en plus plausible. Et sauf une levée de bouclier internationale particulièrement nette et ferme, La guerre de Troie aura bien lieu si les dieux assoiffés de puissance qui siègent dans l’île de Manhattan et règnent sur la Cité de Londres s’accordent entre eux et en décident ainsi. Il restera aux stratèges de décider s’ils frappent directement la Perse, ou s’ils font éclater un conflit à sa marge, pour l’y précipiter et l’y détruire.

Jean-Michel Vernochet
Ancien journaliste au Figaro Magazine et professeur à l’École supérieure de journalisme (ESJ-Paris). Dernier ouvrage paru : Europe, chronique d’une mort annoncée (Éditions de l’Infini, 2009).

17.07.10

Notes:
[1] «Joint Declaration by Iran, Turkey and Brazil on Nuclear Fuel», Voltaire Network, 17 mai 2010. «Contentieux nucléaire Iranien et divergences Américano-Turques», par Jean-Michel Vernochet, Geopolintel, 12 juillet 2010.
[2] A propos d’une attaque procédant d’une stratégie intercontinentale de guerre éclair du XXIe siècle, Rick Rozoff développait l’idée que les É-U entendrait, en raison d’une supériorité proprement écrasante, «remporter la victoire sans même avoir engager la bataille» dans la mesure où «l’adversaire connaît sa vulnérabilité à une offensive instantanée, non détectable, écrasante et dévastatrice, sans capacité de défense ou de représailles». Doctrine qui n’est que la stricte application des enseignements datant du VIe siècle av.J.C, toujours à l’honneur dans les Écoles de guerre américaines, du général chinois Sun Tzu. La dissymétrie massive des forces entre les protagonistes se résume d’ailleurs en un seul chiffre: 708 milliards de dollars pour le budget de la défense états-unien à comparer aux 7,31 milliards de dollars pour l’Iran (estimation pour 2007 de l’Institut d’études stratégiques de Londres). «Prompt Global Strike: World Military Superiority Without Nuclear Weapons», par Rick Rozoff, Voltaire Network, 21 avril 2010.
[3] Le terme «national-islamiste» fait référence au «national-catholicisme» de la Pologne de Lech Walesa, épine dans le pied de l’Union soviétique expirante. Ce qui est en cause dans le contentieux irano-américain, ce n’est pas tant la dimension religieuse islamique d’un État «théocratique», que sa dimension souverainiste. Le nouvel ordre régional voulu par Washington sur le Rimland eurasiatique, des Balkans à l’Hindou Koush, est incompatible avec des gouvernements autonomes non intégrés au système global dominé par Washington, Chicago, New York et Londres. Il s’agit donc de faire sauter tout les verrous de souveraineté: ceci a été vrai pour la Fédération de Yougoslavie détruite à l’issue de la guerre de 1999 et de l’Irak en 2003. Le Shah d’Iran, Reza Pahlavi, est lui-même tombé, abandonné de l’Administration Carter, pour avoir eu la velléité de renouer avec le nationalisme pétrolier de Mossadegh. L’Iran est en vérité plus «kémaliste» que d’aucuns ne l’imaginent, l’État profond iranien se situant non pas dans un clergé au demeurant assez favorable aux concessions, que chez les Gardiens de la Révolution (les Pasdaran) lesquels constituent le noyau dur assurant la stabilité de l’édifice politique iranien au même titre que l’armée turque forme, encore aujourd’hui, un État dans l’État.
[4] « Résolution 1929 du Conseil de sécurité », Réseau Voltaire, 9 juin 2010.
[5] Nouvelle doctrine de la diplomatie américaine le smart power est une combinaison ou un moyen terme entre le hard power (pouvoir de coercition manu militari) et le soft power (pouvoir d’influence, de conviction et de persuasion). La secrétaire d’État américaine, Mme Hillary Clinton, lors de son audition devant la commission sénatoriale chargée d’avaliser sa nomination a présenté le nouveau concept en ces termes: "Nous devons avoir recours à ce qui a été appelé “le pouvoir de l’intelligence“ [lequel rassemble] l’ensemble des outils mis à notre disposition : diplomatiques, économiques, militaires, politiques, légaux, et culturels – il faut choisir le bon outil, ou la bonne combinaison d’outils, la mieux adaptée à chaque situation".
[6] Gardons en mémoire que l’autre entente tripartite, anglo-américano-israélienne, en effet n’a pas tardé à faire payer à la Turquie son audace, d’abord en donnant l’assaut, dans la nuit du 30 au 31 mai 2010, de la flottille humanitaire turque, action qui devait faire 9 victimes parmi les passagers du Mavi Marmara. Puis, peu après, le 18 juin, le PKK (Parti kurde de travailleurs) lançait une attaque contre un poste frontière turc au nord de l’Irak occasionnant 8 morts parmi les gardes frontières turcs. Les observateurs les plus avertis ont vu dans ces événements, non pas des dérapages incontrôlés ou de simples accidents, mais un «signal fort», envoyé de façon préméditée par le «51ème état de l’Union» à l’attention des dirigeants turcs de l’AKP, le parti islamique néo-ottoman au pouvoir à Ankara. Deux événements par conséquent non fortuits, sachant que, pour le second, le PKK est réputé bénéficier du soutien actif de conseillers israéliens et d’une certaine «tolérance» en Irak de la part des forces américaines.
[7] En lutte ouverte contre le pouvoir central turc depuis 1984, le bilan du conflit avec le PKK s’établirait à 45 000 morts de tous bords dont 50 au cours du seul mois de juin 2010. Par conséquent un sujet de préoccupation permanent pour Ankara, à telle enseigne que, le 30 juin, le vice-Premier ministre turc Cemil Ciçek a, une nouvelle fois, remis sur le tapis la question du «laxisme» états-unien à l’égard des rebelles du PKK… Parallèlement, le même jour, avait lieu à Bruxelles une rencontre discrète, à l’initiative d’Ankara (?) entre le ministre israélien du Commerce, Benjamin Ben Eliezer, et Ahmet 
Davutoglu Ministre turc des Affaires étrangères, en vue de désamorcer l’actuelle crise bilatérale.
 Ce premier contact ministériel israélo-turc depuis le 31 mai date de l’arraisonnement de la flottille internationale, a été établi sous couvert du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou en court-circuitant le chef de la diplomatie israélienne, Avigdor 
Lieberman.
[8] «Iran: minorités nationales, forces centrifuges et fractures endogènes», par Jean-Michel Vernochet, in Maghreb-Machrek, octobre 2009.
[9] L’Allemagne est traditionnellement l’un des grands partenaires de l’Iran, Siemens en particulier présent en Perse depuis 1868 lorsque l’entreprise allemande s’employait à poser la première ligne télégraphique reliant Londres aux Indes. En 2008, les entreprises allemandes avaient livré des produits pour une valeur de 3,9 milliards d’euros à l’Iran et seulement 3,3 en 2009.
[10] Selon le Washington Times - 7 juillet 2010 -
 l’ambassadeur des Émirats arabes unis à Washington, Youssef Al Otaïba (en vérité peu «représentatif» en raison des analyses divergentes de crise iranienne prévalant au sein des Émirats), a 
publiquement prôné le recours à la force dans le règlement du contentieux nucléaire iranien en cas d’échec des sanctions contre 
Téhéran. De la même manière que les gouvernements français et allemand, les ÉAU font passer leurs allégeances politiques avant leurs intérêts économiques, le commerce entre les Émirats et l’Iran se montant par an à la bagatelle de 12 
milliards de dollars.
[11] «Israël se prépare à la guerre» selon la plupart des médias arabes lors du lancement le 23 mai 2010 de manœuvres baptisées «Tournant 4″», vaste exercice (4è du genre depuis la guerre au Liban en 2006), destiné à contrer une éventuelles attaque de missiles de la part du Hezbollah ou de l’Iran.
Le dispositif naval états-unien aux abords du Golfe arabo-persique se composait encore récemment d’une flotte de combat tout à fait imposante: Carrier Strike Group 10, headed by the USS Harry S. Truman aircraft carrier, sails out of the US Navy base at Norfolk, Virginia Friday, May 21. On arrival, it will raise the number of US carriers off Iranian shores to two. Up until now, President Barack Obama kept just one aircraft carrier stationed off the coast of Iran, the USS Dwight D. Eisenhower in the Arabian Sea, in pursuit of his policy of diplomatic engagement with Tehran. For the first time, too, the US force opposite Iran will be joined by a German warship, the frigate FGS Hessen, operating under American command. It is also the first time that Obama, since taking office 14 months ago, is sending military reinforcements to the Persian Gulf. Our military sources have learned that the USS Truman is just the first element of the new buildup of US resources around Iran. It will take place over the next three months, reaching peak level in late July and early August. By then, the Pentagon plans to have at least 4 or 5 US aircraft carriers visible from Iranian shores.The USS Truman’s accompanying Strike Group includes Carrier Air Wing Three (Battle Axe) - which has 7 squadrons - 4 of F/A-18 Super Hornet and F/A-18 Hornet bomber jets, as well as spy planes and early warning E-2 Hawkeyes that can operate in all weather conditions ; the Electronic Attack Squadron 130 for disrupting enemy radar systems ; and Squadron 7 of helicopters for anti-submarine combat (In its big naval exercise last week, Iran exhibited the Velayat 89 long-range missile for striking US aircraft carriers and Israel warships from Iranian submarines.) Another four US warships will be making their way to the region to join the USS Truman and its Strike Group. They are the guided-missile cruiser USS Normandy and guided missile destroyers USS Winston S. Churchill, USS Oscar Austin and USS Ross.
[12] À telle enseigne que la Turquie, bien que déboutée par le refus cinglant de Tel-Aviv de lui présenter des excuses pour l’épisode sanglant du Mavi Marmara le 31 mai dernier, vient, le 13 juillet 2010, par l’intermédiaire de son ministre chargé des relations avec l’Union Européenne, M. Egemen Bagis, de demander à Mme Catherine Ashton, Ministres des affaires extérieures de l’UE en visite à Istanbul, d’intervenir auprès de l’État hébreu afin de sortir de l’impasse diplomatique actuelle.
[13] New York Times du 25 mai 2010 : l’existence d’une directive «secrète» de septembre 2009 signée par le général David Petraeus, chef du Commandement central américain, autorisant l’intensification des opérations militaires secrètes au Proche-Orient, en Asie centrale (mais aussi dans la Corne de l’Afrique). Le document de 17 pages intitulé «Joint Unconventional Warfare Task Force Execute Order» autorise les unités spéciales à «pénétrer, perturber, vaincre ou détruire» toutes cibles en tous pays (y compris un pays allié comme l’Arabie saoudite) et ce, afin de «préparer l’environnement» à des offensives conventionnelles. En ce qui concerne plus particulièrement l’Iran la directive autorise explicitement «des missions de reconnaissance pouvant ouvrir la voie à de possibles frappes militaires si les tensions relatives ses ambitions nucléaires venaient à s’intensifier». Des missions (reconnaissance, renseignement, acquisition) qui de facto ne seront soumises au visa du Congrès parce que directement placées sous la juridiction de David Petraeus, chef de l’état major régional des forces états-uniennes (United States Central Command) pour les théâtres d’opérations irakien et afghan (incidemment pakistanais). C’est à ce titre que David Patraeus a succédé, le 23 juin 2010, au général McChrystal, relevé de ses fonctions à la tête des forces de «stabilisation» de l’Otan (ISAF) en Afghanistan sous mandat des Nations Unies. Fonctions où il sera censé déguiser une défaite presque certaine en fausse victoire grâce au Pakistan à qui il a été demandé de reprendre en main son «Golem», à savoir le mouvement Taleb créé à dessein contre le régime communiste et son soutien soviétique .
[14] L’infléchissement de la politique française vers un retour dans le giron atlantique, se fait sentir à partir du 2 septembre 2004 lorsque la France se rallie à la Résolution 1559 du Conseil de sécurité, laquelle préconise le retrait syrien du Liban. Six mois après cette adoption, l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri est assassiné le 15 février 2005. Le rapprochement de la France - son voyage à Canossa ! - et des États-Unis sera complet lorsque le président Sarkozy revient officiellement en 2009 dans le commandement intégré de l’Otan (dont de Gaulle avait retiré la France en 1966).
[15] Le problématique du refinancement du déficit public états-unien pèse lourdement sur l’évolution des cours du dollar. Des incertitudes qui hypothèquent l’avenir des obligations d’État (T-Bonds) à intérêt fixe, engendrant le risque, non négligeable, d’un krach obligataire ou, l’hyperinflation liée à la multiplication de signes monétaires de plus en plus démunis de valeur réelle.

Source: réseau voltaire